Seconde Guerre mondial

Seconde Guerre mondial

Alexandre Glasberg

Juste parmi les Nations

 

L’Abbé Alexandre Glasberg

Né en 1902 dans une famille de l'importante communauté juive de Jitomir (aujourd'hui en Ukraine), Alexandre Glasberg et son frère Vila, sont convertis au christianisme dans leur jeune âge par leurs parents.

Alexandre Glasberg est ordonné prêtre le 24 septembre 1938 dans l'Allier. Il demande l'année suivante à rejoindre le diocèse de Lyon et est nommé vicaire à Notre-Dame de Saint-Alban, une paroisse d'avant-garde où l'abbé Laurent Rémilleux effectue un travail pionnier dans l'accueil aux réfugiés et l'aide sociale et où est créé le premier centre social de Lyon.

Depuis son ordination en 1938, l’abbé Glasberg, parlant yiddish aussi bien que français, se consacre au sauvetage et au reclassement des réprouvés et sans-patrie et notamment des juifs fuyant les persécutions des nazis et les protège des risques d'internement institués par le décret Daladier de 1938.

La défaite de 1940 augmente le nombre des victimes désignées dont les juifs étrangers et les militants politiques allemands et autrichiens opposants au régime nazi.
L’abbé Glasberg propose alors au cardinal Gerlier, archevêque de Lyon, de créer un Comité d'Aide aux Réfugiés, dont ce dernier accepte la présidence.
Dès 1940 l'abbé Glasberg est en liaison avec Londres. Maquisard à ses heures, il organisa, avec la complicité de la résistance, la fuite des juifs, des étrangers ou des clandestins en leur procurant faux papiers, cachettes et asile dans des centres d'accueil, créés avec l'aide du jeune militant chrétien Olivier de Pierrebourg.
Il fournit des faux-papiers, organise des passages en Suisse, déplace les personnes menacées d'un centre d’accueil à un autre, fournit des cachettes, etc. 

Dès 1940, il se préoccupe du sort de la population étrangère internée dans les camps. Il entre dans le Comité de coordination pour l’assistance dans les camps, dit Comité de Nîmes. Vers la mi-1941, il met en place, avec le docteur Weill de l’OSE, une Direction des Centres d’accueil (DCA). Grâce à des démarches obstinées, et en s’aidant du prestige du cardinal Gerlier, il obtient de faire transférer quelques centaines de détenus des camps vers cinq centres qu’il a créés :
le centre de Chansaye dans le Rhône (Roche d’Ajoux),
le centre de Pont-de-Manne dans la Drôme,
le centre de Vic-sur-Cère dans le Cantal,
 le centre du Lastic à Rosans dans les Hautes-Alpes,
 le centre du Bégué de Cazaubon dans le Gers.

Il s'est en particulier illustré à l'été 1942 avec le sauvetage de près de 180 enfants juifs détenus dans un camp à Vénissieux.

En 1943, l'abbé fuit Lyon pour Montauban et Léribosc.
Son frère Vila Glasberg alias Victor Vermont, arrêté en 1943, sera déporté sans retour. 

L'abbé Lucien Étienne nous parle de l'abbé Glasberg, dit l'abbé Corvin : "Quand Glasberg se présenta à moi il me dit qu'il s'appelait Corvin. Je lui répondis : comme un héros hongrois à l'époque de l'empire Ottoman. Et à ce moment-là il blêmit se croyant démasqué. Mais je venais d'arriver à Léribosc, le jeudi saint de la Pâques 1943, envoyé par Monseigneur Théas qui m'avait demandé de venir donner un coup de main à un nouveau prêtre arrivant dans le département. J'ai passé toute la semaine sainte dans le presbytère de Lériobosc, dormant sur un canapé. Et puis durant l'année 1944 je suis revenu voir Corvin et rencontrer aussi Jean Bayrou l'instituteur de Puycornet. Ils ont réalisé un coup extraordinaire tous les deux en juin 1944. Bayrou déguisé en prêtre et Corvin sont allés au Grand Hôtel à Toulouse où les Allemands avaient une sorte de quartier général. Ils ont écouté les conversations des officiers pour savoir par où les troupes allemandes remontaient du sud du pays vers l'Allemagne. Et pas que la sinistre division Das Reich. Ils avaient reçu une mission du gouvernement Français de la France Libre du général de Gaulle. Et ils ont appris que la remontée du gros des troupes vers les Ardennes et l'Allemagne se ferait par la vallée du Rhône. Et c'était la vérité confirmée peu de temps après par le débarquement allié de Provence, le 15 août 44."

Alexandre Glasberg dit l'abbé Corvin à Léribosc en 1943. Alexandre Glasberg dit l'abbé Corvin à Léribosc en 1943.

En 1944, l’abbé Glasberg fonde l’association Service des étrangers, qui devient Centre d’Orientation Sociale des Étrangers en 1946, puis Centre d’Orientation Sociale en 1960.
Dés la libération, l’abbé Glasberg fonde le Centre d’orientation sociale des étrangers (COSE), œuvre originale de soutien juridique et d'intégration sociale et professionnelle des réfugiés de l’après guerre démunis de tout.
Après la guerre, l’abbé Glasberg aida des juifs à immigrer clandestinement en Israël, en particulier ceux des pays arabes, notamment les juifs irakiens, marocains et égyptiens. Dans le même temps il fut à l'origine de mouvements non-violents regroupant Israéliens et Palestiniens.
En 1971, il est co-fondateur de l’association France Terre d’Asile et est fait Chevalier de la légion d’honneur en 1972.
Il est décédé le 22 mars 1981.

Histoire

L’Église Catholique et les Juifs à Lyon pendant la guerre 1939-45

Dans le catholicisme lyonnais des années 40 qui compte bien des personnalités remarquables, l’Abbé Alexandre Glasberg est certes une des plus fortes, et bien particulière : Ukrainien et Juif par ses origines, parlant yiddish aussi bien ou mieux que le français, arrivé à Lyon après une longue traversée d’Europe en passant par une abbaye trappiste et plusieurs séminaires, c’est aussi un homme (je l’ai rencontré à la fin de sa vie) dont la vitalité et la robuste audace ne craignent aucune autorité et ne s’embarrassent d’aucune légalité pour arriver à ses fins. Et pourtant, ce singulier abbé a été la cheville ouvrière d’une œuvre lyonnaise, les Amitiés chrétiennes, chaînon essentiel dans la transformation, bien au-delà de Lyon, des relations entre les catholiques et les Juifs dans notre pays.

En 1940, le catholicisme lyonnais est dans une situation ambiguë devant ce qu’on appelle alors la "question juive" - je ne parle ici que des catholiques, car en France la position des protestants est bien différente. En fond de tableau, les mentalités conservent l’imprégnation de siècles d’antijudaïsme chrétien, véhiculé depuis les Pères de l’Église jusqu’au XXe siècle, sans que l’Église en ait jamais fait un article de foi, par des sermons et des cantiques, des catéchismes et des textes liturgiques comme la prière du Vendredi saint "Prions pour les Juifs infidèles (pro perfidies Judaeis)". De nombreux catholiques, ignorant le judaïsme réel, le jugent selon cet "enseignement du mépris" que Jules Isaac dénoncera plus tard et dont le père Démann dressera alors courageusement l’inventaire.

Mais un nouvel antisémitisme s’est développé chez les catholiques français au temps de Drumont et de l’affaire Dreyfus : antisémitisme de ressentiment qui accuse les Juifs, avec les protestants et les francs-maçons, d’avoir fomenté le recul de l’Église et les mesures anticléricales de la République ; Maurras en a fait un article essentiel de sa doctrine nationaliste. Dans les années 30, années de crise économique et d’immigration, la concurrence professionnelle, la peur de l’étranger et le besoin d’un bouc émissaire ont provoqué en France une poussée d’antisémitisme haineux qui gagne aussi la droite catholique, surtout lorsque les adversaires du Front populaire s’acharnent contre Léon Blum. A Lyon le grand quotidien catholique, Le Nouvelliste, entretient l’idée qu’il y a en France une "question juive" à résoudre.

Cet antisémitisme des catholiques a certes suscité des réactions. A la suite de Péguy, de Maritain et de Mounier, des penseurs, des journalistes et des ecclésiastiques ont pratiqué et enseigné l’amitié envers les Juifs et rappelé un enseignement traditionnel de l’Église : c’est par le péché de toute l’humanité que Jésus est mort, et il n’y a pas de culpabilité ni de châtiment à faire peser sur le peuple juif (pas celui du temps de Jésus, encore moins celui d’aujourd’hui). Des théologiens comme le P. de Lubac à Lyon (dans son maître livre
Catholicisme) développent une vision de l’histoire du Salut de l’humanité qui reconnaît mieux le rôle du peuple juif et la continuité de Nouveau Testament chrétien avec la Bible hébraïque. Des groupes de rencontre ont été créés, où Juifs et chrétiens échangent dans l’estime et l’amitié. Ces idées pénètrent à Lyon le jeune clergé, les intellectuels grâce à des prêtres comme le vénéré M. Richard, le génial Abbé Montchanin et le Père Fontoynont inspirateur de plusieurs générations de grands jésuites. Elles trouvent un milieu favorable dans les groupes militants dont la condamnation de l’Action française par Pie XI en 1926-27 a favorisé le développement : les catholiques sociaux de la Chronique sociale, puis les mouvements de jeunesse de l’action catholique et le courant démocrate chrétien. Si Pie XI dans sa lettre aux évêques allemands Mit Brennender Sorge condamne d’abord les attaques du régime hitlérien contre l’Église et la doctrine raciste, sans mentionner explicitement l’antisémitisme, les évêques que ce Pape a nommés en France condamnent cet antisémitisme. Parmi eux, le nouvel archevêque de Lyon, Cardinal Gerlier, qui de plus a eu, étant jeune avocat à Paris, des amis Juifs. Mais ce renouvellement des perspectives n’a encore atteint qu’une minorité. Les mentalités n’ont pas été transformées dans la masse catholique.

Le régime de Vichy fait de l’antisémitisme une doctrine officielle ; il prend dès l’automne 1940, de sa propre initiative et sans pression allemande, des lois contre les Juifs qu’il accuse d’être responsables, avec les francs-maçons et le Front populaire, de la défaite : les citoyens Français de confession israélite deviennent des citoyens diminués, exclus de la fonction publique et des professions influentes ; les Juifs étrangers sont internés arbitrairement dans des camps. Ces mesures suscitent peu de réactions ; les cardinaux et archevêques renoncent à protester et même à prêcher la modération, à la fois pour ne pas gêner le gouvernement du Maréchal Pétain dont ils attendent beaucoup sur le plan social, moral et religieux, et parce qu’ils pensent que le gouvernement est fondé à traiter cette "question juive" qui a été aggravée par l’immigration récente. La majorité des fidèles, confiante en Pétain et influencée par le préjugé antisémite, reste passive. En zone occupée, c’est le début d’application de la méthode nazie : du recensement des Juifs aux mesures de ségrégation, puis d’exclusion et d’asphyxie qui prépare l’exécution en 1942 de la solution finale.

Mais à partir de 1941, des réactions catholiques se manifestent, sur trois plans:   
D’abord l’action de secours. C’est là qu’excelle l’Abbé Glasberg, couvert par le Cardinal Gerlier auquel il a révélé très tôt la détresse des étrangers internés dans les sinistres camps de la honte ; il crée pour ceux qu’il parvient à en faire sortir des Centres d’accueil. En 1942 est créée à Lyon les Amitiés chrétiennes, œuvre interconfessionnelle qui collabore avec les organisations juives, officielles ou clandestines, qui accueillent, secourent et cachent les Juifs sans ressources ou menacés. Le père Chaillet, jésuite professeur à Fourvière, en est le principal animateur, avec l’Abbé Glasberg, Jean-Marie Soutou (disparu l’été dernier) et l’étudiante Germaine Ribière. Gerlier co-président d’honneur des Amitiés chrétiennes avec le pasteur Boegner, couvre leurs actions, ce qui l’entraîne parfois plus loin qu’il ne le prévoyait. Lors des grandes rafles d’août 1942 en zone libre, ces sauveteurs réussissent avec leurs amis Juifs à sortir illégalement du centre de tri de Vénissieux une centaine d’enfants : Gerlier permet leur hébergement dans des couvents et s’oppose courageusement au préfet qui exigeait qu’il soit remis aux autorités. Ces actions créent une solidarité entre les sauveteurs Juifs et chrétiens ; si chez les premiers, le souvenir des humiliations passées imposées par des chrétiens demeure, il s’y ajoute désormais la reconnaissance envers leurs compagnons en sauvetage.

Deuxième action, l’appel à l’opinion catholique, à la conscience chrétienne. Elle prend deux voies, après une première année où le silence des autorités religieuses a consterné les adversaires des mesures antisémites, notamment chez les jésuites de Fourvière dont plusieurs ont lancé à leurs supérieurs des appels angoissés. Il y a la voie de la publication clandestine, ce sera les Cahiers du témoignage chrétien, ignorés ou blâmés par la majorité des évêques, dont le cardinal Gerlier. Le TC donnera une grande place à la lutte contre l’antisémitisme, en dénonçant les doctrines racistes, en montant que l’antisémitisme est antichrétien et antifrançais en informant sur la persécution et en montrant comment l’antisémitisme de Vichy, qui se présente comme une mesure d’intérêt public, est en réalité le complice et le fourrier du nazisme antichrétien et criminel – ce qui se vérifie malheureusement à l’été 1942. La seconde voie est celle de la protection publique, difficile et rare : les allusions des évêques, entre autres Gerlier, au caractère universel du salut chrétien, sans considération de race, sont restées prudemment voilées ou ont été censurées. Mais en août 1942, plusieurs évêques de zone libre, à la suite de Mgr Saliège,
dénoncent les conditions inhumaines de la déportation des Juifs dans leur région ; parmi eux, le Cardinal Gerlier, qui proteste tout en confirmant sa confiance au Maréchal.
 

Il y a enfin, troisième engagement, le travail des théologiens : quatre professeurs lyonnais ont rédigé en juin 1941, après l’instauration d’un second statut des Juifs élaboré par le catholique maurrassien Xavier Vallat, une protestation fortement argumentée au nom de la justice, de la tradition française de respect des droits de l’homme et de la doctrine catholique. Leur texte n’a pas été ratifié, par crainte de représailles, par les autorités des Facultés catholiques, mais ils l’ont développé dans un livre paru en Suisse un an plus
tard, sous leur signature : Israël et la foi chrétienne. Ils rappellent contre les prétentions d’un "christianisme aryen", le lien indélébile entre les deux parties de la Bible, ils révisent la théologie de la substitution et abandonnent la vision négative du judaïsme postérieur au Christ : ces avancées qui honorent le foyer lyonnais de la réflexion religieuse annoncent et préparent le mouvement de "conversion" (au double sens de retournement et d’adhésion religieuse) qui a amené l’Église catholique à s’interroger sur son passé et à relire son message avec plus d’humilité et de respect pour les croyants étrangers à ses dogmes et pour les non-croyants qui cherchent Dieu ou témoignent de sa bonté par d’autres voies. Le Cardinal Gerlier, pasteur ouvert sans être théologien, laissera ce travail se poursuivre ultérieurement, l’encouragera parfois et vivra assez pour participer au concile Vatican II qui le ratifiera vingt ans plus tard.

Plusieurs des acteurs de cette histoire, en premier lieu le Père Chaillet, ont su associer les trois formes d’action philosémite que je viens de distinguer, l’assistance aux persécutés et le sauvetage des pourchassés, l’appel à la conscience des chrétiens pour qu’ils s’engagent dans la même voie, et le travail de réflexion, de rectification de la pensée chrétienne pour reconnaître au peuple juif et à la fidélité de ses croyants leur place dans une vision dilatée du salut promis à tous les peuples. Reconnaître la place de l’autre qui est différent et dont on a pu, être l’adversaire, c’est entrer dans une démarche d’humilité et de conversion en rompant avec une longue histoire d’ignorance et de mépris. L’Église catholique n’y est sans doute pas prête en 1945, mais des pionniers sont désormais à l’œuvre, de Jules Isaac au Lyonnais Me Rodet, puis leurs successeurs, parmi lesquels récemment le Cardinal Decourtray et le docteur Marc Aron – je ne cite que des disparus. Des pionniers décidés à frayer la voie au rapprochement qui fermera le long chapitre de l’antisémitisme des chrétiens.

Témoignage d'Ady Steg

Après avoir échappé à la rafle du Vel’ d’Hiv, le 16 juillet 1942 à Paris, nous avons pu ma sœur (15 ans) et moi (17 ans) nous procurer de faux papiers et grâce à un passeur, franchir la ligne de démarcation et gagner la zone non occupée. Le 13 août 1942, nous nous trouvions à Lyon (en route vers Grenoble où nous allions rejoindre notre frère aîné) et nous avons été arrêtés par la police française pour "usage de faux papiers".

Aussitôt nous fûmes conduits chez le juge d’instruction. Celui-ci, dans une diatribe violente, s’est déchaîné contre nous, nous traitant de métèques, d’anarchistes, de communistes… et nous a fait interner moi à la prison Saint-Paul, et ma sœur à la prison Saint-Joseph. Nous y sommes restés deux mois et demi. Le 27 octobre 1942, nous avons comparu devant les juges. Le tribunal, après une brève délibération, a prononcé un non-lieu et nous avons été libérés le jour même. Ainsi, à l’opposé du juge d’instruction, et dans la même juridiction, les juges du tribunal ont courageusement interprété les textes de l’époque de la législation sur les juifs non pas contre nous, comme l’a fait le juge d’instruction, mais en notre faveur !
Recueillis pendant quelques jours par des amis qui, eux aussi, se cachaient à Lyon, il nous a été conseillé "d’aller voir l’Abbé Glasberg*". Celui-ci animait les Amitiés chrétiennes auprès du Cardinal Gerlier. L’Abbé nous a accueillis avec chaleur et nous a immédiatement pris en charge. Au bout de quelques jours, il nous a munis de "vrais faux papiers" et il nous a fait partir, ma soeur dans un refuge, à Vic-sur-Cère (Cantal), et moi au "château" du Brégué, à Cazaubon, dans le Gers. Dans le train qui m’amenait à Toulouse, puis à Auch, j’ai aperçu les colonnes de soldats allemands se dirigeant vers le Sud. Ce jour-là, en effet, les Allemands envahissaient tout le territoire. C’en était fini de "la zone non occupée".
Le "château" du Bégué était une grande résidence mise à la disposition des Amitiés chrétiennes par le comte et la comtesse d’André. C’était un refuge où était regroupée une centaine de Juifs, en majorité évadés ou "exfiltrés" des camps de Gurs et de Rivesaltes. J’y fus accueilli par son directeur Victor Vermont. Je devais rapidement apprendre qu’en fait il s’agissait du frère de l’Abbé Glasberg ! Vermont étant la traduction en français du nom allemand Glasberg. Victor Vermont allait jusqu’à son dernier séjour veiller sur moi comme un grand frère.
A Cazaubon, le lieutenant Vermont avait deux alliés précieux : M. Fernand Sentou, Maire de Barbotan-les-Thermes qui jouxte Cazaubon et Mme Ducassé, la secrétaire de la mairie. Grâce à eux, il a pu disposer pour tout le monde de "vrais faux papiers" : cartes d’identité, mais aussi cartes d’alimentation.

L’Abbé Glasberg venait souvent de Lyon pour s’assurer que tout allait bien au Centre, tant sur le plan matériel que sur le plan de la sécurité, mais de surcroît il s’entretenait avec chacun d’entre nous. J’ai eu avec lui à plusieurs reprises de longues conversations, j’y reviendrai dans un instant.
Au Bégué, nous effectuions des travaux agricoles, plus pour nous occuper, que par souci d’efficacité, car aucun d’entre nous n’avait d’expérience agricole. Il arrivait que nous soyons détachés pour quelques jours et parfois plus pour aider, sur leur demande, des paysans de la région, notamment pendant les vendanges. Je pense que les paysans n’étaient pas dupes et savaient que nous n’étions pas de simples réfugiés de "la zone occupée". Jamais ils n’y ont fait aucune allusion, jamais il n’y eut de dénonciation.
Il est vrai que nous étions protégés et cette protection venait essentiellement de l’Abbé Glasberg. A chacune de ses visites, il se rendait souvent à Cazaubon et à Barbotan pour s’y montrer en soutane et parfois il disait la messe. Il était connu comme le "curé du Bégué", ce qui était en quelque sorte un brevet de chrétienté qui suffisait aux paysans qui évitaient par ailleurs toute inquisition.
Il n’en reste pas moins que nous étions en danger. Tous certes, mais surtout l’Abbé Glasberg – dont chaque venue au Bégué était une aventure périlleuse – et bien sûr Victor Vermont. Le 16 août 1943, celui-ci fut arrêté par la Gestapo venue d’Agen, dénoncé, semble-t’il, par un condisciple séminariste (avant d’entrer dans l’armée, Victor avait été au séminaire). Prévenu par téléphone par la secrétaire de mairie auprès de laquelle la Gestapo venait de s’enquérir à son sujet, Victor Vermont a refusé de s’enfuir et délibérément s’est sacrifié pour nous. Conduit à Agen, puis transféré à Fresnes, il a été déporté et n’est pas revenu. Victor Vermont reste à jamais dans notre coeur.
Après l’arrestation de Victor Vermont, un nouveau directeur, M. Luino, fut installé par l’Abbé Glasberg.
Comme je l’ai mentionné, l’Abbé Glasberg était très attentif à chacun d’entre nous et j’ai personnellement bénéficié de sa sollicitude. Il avait appris qu’au Bégué, je préparais le baccalauréat par correspondance (au travers de l’Ecole Universelle). Il a décidé de m’envoyer étudier dans un lycée. Il m’a présenté à Mgr Théas, évêque de Montauban. Celui-ci m’a dirigé vers le collège de Sarlat, en Dordogne, dont le proviseur dirigeait la Résistance de la ville et auquel il m’a recommandé. C’est la que j’ai effectivement pu suivre les cours de la classe de philosophie et le soir, pour justifier ma présence dans ce collège, j’assurais les fonctions de "pion" dans les dortoirs.

Telle est mon expérience d’un des centres dirigés par l’Abbé Glasberg et son adjointe Nina Gurfinkel. Il faut savoir que la Direction des Centres d’Accueil des Amitiés chrétiennes comportait de nombreux autres refuges qui ont permis le sauvetage de centaines de juifs et, d’autres que moi, pourraient faire état de leur expérience personnelle qui témoignerait de l’ampleur de cette action. Pour ma part, je voudrais terminer en soulignant les particularités des Amitiés chrétiennes.
En premier lieu, il s’agissait d’une oeuvre très ostensiblement chrétienne, mais sans aucune visée prosélyte. L’Abbé y veillait personnellement.
Une anecdote me semble mériter d’être rapportée. Un vendredi soir, à la fin du dîner, l’Abbé s’est assis à côté de moi – il savait que j’étais de famille orthodoxe – il m’a demandé : "chante-moi des zemirot", c’est-à-dire des chants traditionnels du repos de Chabbat. Ce que j’ai fait. Il est resté longtemps silencieux. Ce fut pour moi un moment de grande émotion et, je pense, pour lui également.
 

D’autre part, et c’est une autre particularité, l’Abbé Glasberg, pour entreprendre son action de sauvetage, n’a pas eu besoin d’attendre Jean XXIII, Seelisberg, Vatican II, Nostra Aetate, Jean-Paul II … Sa seule foi chrétienne lui a suffi, comme elle a suffi à son frère Victor, pour aller au sacrifice. Nous leur devons une éternelle reconnaissance.
En évoquant leur souvenir, me revient cette pensée d’Emmanuel Lévinas : "Ce qui reste après tant de sang et de larmes, c’est l’abnégation individuelle qui trouve, sans hésiter, la voie droite des Justes".
Pour terminer, je voudrais vous dire qu’avec l’Abbé Glasberg j’ai connu un Tsaddikins… un juste.

Le Talmud enseigne : "On ne fait pas de monument à la mémoire des Tsaddik ; ce sont leurs œuvres qui assurent leur avenir". Il sera ainsi pour l’Abbé Glasberg.
Je crois pouvoir, en sa mémoire, évoquer ces mots bouleversants dédiés, il y a longtemps, à la mémoire de Hannah Szenes, cette jeune combattante de la Hagannah qui, parachutée en Yougoslavie en 1944 parmi les partisans, pour aider au sauvetage des juifs, fut arrêtée torturée et fusillée : "Il est des étoiles dont la lumière n’atteint la terre qu’après qu’elles se soient désintégrées et ne sont plus. Il est des hommes dont la mémoire scintillante éclaire le monde après qu’ils aient disparu".

Professeur Ady STEG

 

Témoignage de Sophie Weiser 

Je suis née en Pologne de parents aisés. En 1937, j’obtiens mon baccalauréat et j’ai aussi un fiancé qui choisit de faire l’école de Tannerie à Liège en Belgique. Il revient en Pologne pour les grandes vacances ; nous nous marions et quittons la Pologne en 1938 et regagnons ensemble Liège. Nous pensions à l’époque que "le monde était à nous".
1939, la Pologne est occupée par les nazis. Nous sommes bloqués en Belgique.
Mai 1940 la Belgique est envahie ; nous quittons ce merveilleux pays d’accueil et prenons le dernier train pour la France, destination Cazères-sur-Garonne tout près de Toulouse. Nous sommes devenus des réfugiés.
Nous décidons d’aller à Lyon finir la dernière année d’études pour mon époux et obtenir le diplôme d’Ingénieur en Tannerie. Nous nous installons dans une modeste chambre au 1, rue d’Inkerman à Villeurbanne. Nous manquons d’argent, j’ai peur de vendre mes bijoux et mes belles fourrures, cadeaux de mariage.
J’ai loué une machine à écrire, et je tape des thèses pour étudiants. Commence la période de convocation – des hommes exclusivement au départ – au commissariat de police. J’accompagne systématiquement mon époux et j’obtiens même un certificat médical d’un médecin inconnu.
Les rafles sous Barbie deviennent de plus en plus intenses ; j’ai été prise trois fois, mais la plus intense était vraiment la dernière, qui, m’a achevée, à Vénissieux destination connue pour la Finale.


Un jour en revenant d’une mission et voulant regagner ma chambre à Villeurbanne, la gardienne de l’immeuble me fait signe de loin de m’en aller, notre chambre a été vidée et scellée. Je retourne à Lyon cassée, meurtrie, des idées folles dans mon esprit. Je marche et je blasphème contre le Dieu de mes grands parents. Je ne veux plus de toi, j’ai dit, je vais m’adresser à Jésus. J’avais à l’époque même un peu de fascination pour Jésus.
Au fait, en Pologne j’étais admise au Lycée d’État Catholique et la ferveur des prières matinales de mes camarades de classe m’interpellait si bien que j’éprouve de la fascination pour Jésus. Je vois de loin une affiche au tableau rue Constantine, je n’en crois pas mes yeux : le miracle s’est accompli ; je vois : Amitiés Chrétiennes. Je monte les escaliers et c’est Madame Nina Gourfinkel qui m’aide à m’asseoir ; je raconte mon histoire.
Arrive l’Abbé Glasberg, mon sauveur, qui demande mes documents pour faire une nouvelle carte d’identité. J’en demande une autre pour mon mari. Nous passons la nuit chez un ami vietnamien, ami de l’école de mon époux. Le lendemain matin nous revenons rue Constantine ; l’Abbé Glasberg est là, il nous attend déjà et nous remet nos nouvelles pièces d’identité et ainsi que des billets pour aller à Orgelet dans le Jura et l’adresse du médecin à la recherche d’une bonne à tout faire et d’un jardinier. Évidemment nous n’avons pas fait leur affaire car nous n’avons pas eu de qualification de ce genre mais finalement le docteur nous a trouvé une nouvelle place à Arinthod, également dans le Jura chez un Pharmacien. Je n’ai plus revu l’Abbé Glasberg nous sommes restés chez
le pharmacien quelques bons mois.

 
Entre temps je suis tombé gravement malade et c’est encore le docteur d’Orgelet qui m’a placée à l’hôpital où je suis restée jusqu’à la fin de la guerre.
Monsieur Glasberg, s’il vous plaît, si vous me regardez d’en haut, je vous envoie aujourd’hui de Lyon un gros baiser et je vous dis au revoir.

Corvin

L'abbé Glasberg prit le nom de Corvin : Matthias Corvin fut le roi Matthias 1er de Hongrie dit le Juste. Il régna du 23 novembre 1458 au 6 avril 1490. Date de sa mort à Vienne en Autriche. Prince humaniste, diplomate habile et excellent tacticien il créa en cavalerie les hussards noirs. Faute de descendance légitime son empire ne lui survécut pas et fut partagé à sa mort entre la couronne d'Autriche et l'empire Ottoman. L'épithète Corvin (latin : corvinus) trouve son origine dans le blason de la famille de Huniade qui montre un corbeau sur le rocher. Corbeau qui était le symbole du sceau du roi Matthias.

Réseau de sauvetage

 

 

Nina Ninon Weyl Haït (dite Nicole Harcourt)

Gourfinkel

 

Familles hébergées, cachées, aidées ou sauvées par Alexandre Glasberg

Ady Steg

Sophie Weiser

 



13/07/2012
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