Seconde Guerre mondial

Seconde Guerre mondial

Histoire de la Shoah 1 partie

 

Destruction du ghetto de Varsovie 1943

 

La Shoah (hébreu : שואה, « catastrophe »), connue également sous le nom d’Holocauste, est l'extermination systématique par l'Allemagne nazie des trois quarts des Juifs de l'Europe occupée, soit les deux tiers de la population juive européenne totale et environ 40 % des Juifs du monde, pendant la Seconde Guerre mondiale ; ce qui représente entre cinq et six millions de victimes selon les estimations des historiens. Ce génocide des Juifs constituait pour les nazis « la Solution finale à la question juive » (die Endlösung der Judenfrage). Le terme français d’Holocauste est également utilisé et l’a précédé. Le terme « judéocide » est également utilisé par certains pour qualifier la Shoah.

 

L'extermination des Juifs, cible principale des nazis, fut perpétrée par la faim dans les ghettos de Pologne et d'URSS occupées, par les fusillades massives des unités mobiles de tuerie des Einsatzgruppen sur le front de l'Est (la « Shoah par balles »), au moyen de l'extermination par le travail forcé dans les camps de concentration, dans les « camions à gaz », et dans les chambres à gaz des camps d'extermination.

 

L'horreur de ce « crime de masse » a conduit, après-guerre, à l'élaboration des notions juridiques de « crime contre l'humanité » et de « génocide », utilisé postérieurement dans d'autres contextes (génocide arménien, génocide des Tutsi, etc.). Une très grave lacune du droit international humanitaire a également été complétée avec l'adoption des Conventions de Genève de 1949, qui protègent la population civile en temps de guerre.

 

L'extermination des Juifs durant la Seconde Guerre mondiale se distingue par son caractère industriel, bureaucratique et systématique qui la rend unique dans l'histoire de l'humanité. Paroxysme d'antisémitisme, ce génocide a voulu éliminer radicalement la totalité d'une population qui ne représentait aucune menace militaire ou politique pour les bourreaux. Les femmes, les bébés ou les vieillards furent tout aussi systématiquement traqués et voués à la mort de masse que les hommes adultes. En particulier, 1 500 000 enfants furent victimes de l'anéantissement. L'extermination physique des Juifs fut aussi précédée ou accompagnée de leur spoliation systématique (aryanisation) et de la destruction d'une part considérable de leur patrimoine culturel ou religieux.

 

 

 

Perpétré sur l’ordre d’Adolf Hitler, le crime a principalement été mis en œuvre par la SS et le RSHA dirigés par Heinrich Himmler, ainsi que par une partie de la Wehrmacht, et par de nombreux experts et bureaucrates du, IIIe Reich. Il a aussi bénéficié de complicités individuelles et collectives dans toute l’Europe, notamment au sein des mouvements collaborationnistes d’inspiration fasciste ou nazie, et de la part de gouvernements ou d’administrations ayant fait le choix de la collaboration d'État. Les passivités ou les indifférences de beaucoup ont aussi indirectement aidé à son accomplissement. Parallèlement, de nombreux anonymes désintéressés, parfois honorés de la distinction de « Juste parmi les nations », se sont dévoués pour sauver des persécutés.

 

 

Le Troisième Reich a aussi exterminé en masse les handicapés mentaux (leur gazage massif lors de l’aktion T4 a précédé et préfiguré celui des Juifs d'Europe), les Tziganes (Porajmos), les homosexuels et les populations slaves notamment polonaises et soviétiques, mais seul le massacre des Juifs a été conduit avec acharnement jusqu'aux derniers instants du Reich.

La Shoah constitue l'un des événements les plus marquants et les plus étudiés de l'histoire contemporaine. Son impact moral, culturel et religieux a été immense et universel, surtout depuis sa redécouverte à partir des années 1960-1970. À côté de l'investigation historique, la littérature de la Shoah offre quelques pistes aux nombreuses interrogations posées à la conscience humaine par la nature et l'horreur exceptionnelles du génocide.

 

Origine du mot Shoah

Shoah est un mot hébreu qui signifie « anéantissement », « cataclysme », « catastrophe », « ruine », « désolation ». Il n’apparaît pas dans la Torah, mais trois fois dans les Nevi'im (Isaïe, 10, 3 et 47, 11 Sophonie 1, 15) et trois fois dans les Ketouvim (Psaumes 35, 8 et 63, 10, Job, 30, 3). Il est désormais préféré en France à « Holocauste », connoté religieusement et signifiant « sacrifice ne laissant subsister aucune trace de la victime ». D'autres pays, dont les pays anglo-saxons, continuent d'employer de préférence le terme d'Holocauste, ainsi que l'Organisation des Nations unies. C'est dans le quotidien Haaretz que le mot hébreu Shoah a été employé pour la première fois pour désigner les crimes nazis.

 

 

 

La Shoah est un génocide, terme initialement formé en 1944 par le juriste Raphael Lemkin afin de désigner l'extermination des Juifs d'Europe. Le terme français d’Holocauste est également utilisé et l’a précédé. L’utilisation du terme Shoah a surtout été constatée depuis les années 1990, consécutivement à la sortie du film de Claude Lanzmann, Shoah, en 1985. Il s'agit d'un film documentaire de neuf heures trente composé de témoignages. Ce film est exempt de tout document d'archives. C'est ce documentaire qui a imposé en français l'usage du nom Shoah après le choix par le réalisateur du mot hébreu qu'on trouvait déjà, par exemple, dans le texte hébreu de la Déclaration d'indépendance de l'État d'Israël de 1948. Claude Lanzmann justifie dans son film le titre de la façon suivante : « Si j’avais pu ne pas nommer ce film, je l’aurais fait.

Comment aurait-il pu y avoir un nom pour nommer un événement sans précédent dans l’histoire ? Je disais la chose. Ce sont des rabbins qui ont trouvé le nom de Shoah. Mais cela veut dire anéantissement, cataclysme, catastrophe naturelle. Shoah, c’est un mot hébreu que je n’entendais pas, que je ne comprends pas. C’est un mot court, infracassable. Un mot opaque que personne ne comprendra. Un acte de nomination radicale. Un nom qui est passé dans la langue, sauf aux États-Unis. »

 

 

Si le génocide juif perpétré pendant la Seconde Guerre mondiale est aujourd'hui communément appelé Shoah, certains récusent l'emploi de ce terme. C'est le cas du linguiste et traducteur Henri Meschonnic. Il précise que le terme shoah signifie « catastrophe naturelle » et ajoute : « Le mot "Shoah", avec sa majuscule qui l'essentialise, contient et maintient l'accomplissement du théologico-politique, la solution finale du "peuple déicide" pour être le vrai peuple élu. Il serait plus sain pour le langage que ce mot ne soit plus un jour que le titre d'un film ». Le terme « Holocauste » est encore moins juste puisque il désigne un sacrifice rituel (ce qui n’a pas empêché les Américains de baptiser en 1993 leur musée United States Holocaust Memorial). Elie Wiesel conteste aussi ce terme autant que celui d'« holocauste » même s'il l'emploie également. Dans ses entretiens avec Michaël de Saint Cheron, en 1988, il dit lui préférer le terme hourban, qui, dans la littérature yiddish portant sur l'événement, signifie également « destruction » et se réfère à celle du Temple de Jérusalem. Par leur origine, ces trois termes soulignent la spécificité juive de l'événement. Le terme « judéocide » est, aussi, employé, notamment par l'historien Arno Mayer dans La « Solution finale » dans l'histoire.

 

La Shoah comme terme d'un processus

 

Apposition d'affiche indiquant le boycott des magasins juifs en 1933

 

 

Raul Hilberg

 

 

Dans La Destruction des Juifs d'Europe, Raul Hilberg analyse la Shoah comme un processus, dont les étapes sont la définition des Juifs, leur expropriation, leur concentration, et enfin leur destruction.

 

 

La première étape est codifiée par les lois dites de Nuremberg, en 1935, qui elles-mêmes venaient après une série de mesures discriminatoires prises dès l'avènement d'Hitler et des nazis le 30 janvier 1933.

 

Les Juifs y sont définis par la législation nazie selon la religion de leurs ascendants et leur propre confession. Toute personne ayant trois ou quatre grands-parents juifs est considérée comme juive. Une personne ayant deux grands-parents juifs est considérée également comme juive si elle est elle-même de religion israélite, ou si elle est mariée à une personne de cette confession. Si tel n'est pas le cas, ou si la personne n'a qu'un seul grands-parents juif, elle est rangée dans une catégorie spécifique, les Mischlinge. La définition des Mischlinge est arrêtée en 1935. À partir de là, ils restent soumis aux mesures de discriminations concernant les non-aryens, mais échappent en principe aux mesures ultérieures, comme le processus de destruction, qui ne concerneront que les seuls Juifs. À partir de l'automne 1941, les Juifs d'Allemagne doivent porter une étoile jaune, signe rendu également obligatoire en 1942 à travers les territoires européens occupés, où les nazis ont d'emblée fait recenser et discriminer la population juive. Le 28 juillet 1942, alors que l'extermination bat son plein, Himmler interdit à ses experts de continuer à chercher la définition du Juif - afin de ne pas lier les mains aux tortionnaires.

 

 

Le boycott des magasins juifs en 1933

 

 

 

 

En règle générale, les lois de Nuremberg sont rapidement introduites telles quelles par ordonnance allemande dans la plupart des pays vaincus et occupés (Belgique, Pays-Bas, Grèce, etc.). Mais plusieurs pays européens avaient adopté d'eux-mêmes leur propre législation antisémite dès l'avant-guerre, notamment l'Italie fasciste de Mussolini en 1938, la Hongrie de l'amiral Horty, la Roumanie du maréchal Ion Antonescu, la Slovaquie de Mgr Tiso. En France, le gouvernement de Vichy du maréchal Pétain, issu de la défaite de juin 1940, a mis en place un statut discriminatoire des Juifs dès octobre 1940. Toutes ces dispositions n'ont aucun objectif homicide par elles-mêmes, mais elles prédisposent les gouvernants à collaborer aux futures déportations. Et, en isolant et en fragilisant les Juifs nationaux et étrangers, elles les rendent vulnérables lorsque surviendra la tentative nazie d'extermination.

 

L'expropriation prend la forme de très fortes incitations sur les Juifs à vendre les entreprises qu'ils possèdent (aryanisation), puis, à partir de 1938, de ventes légalement forcées. La concentration des Juifs du Reich dans des immeubles réservés commence à partir d'avril 1939. Cette phase d'expropriation est également mise en œuvre avec des variantes dues aux circonstances locales dans l'ensemble des pays d'Europe sous domination nazie.

 

 

Boycott officiel des magasins juifs par les SA, Berlin, printemps 1933.

 

La dernière étape, l'extermination physique, se dessine entre 1938 et 1941.Avant-guerre, le but est d'abord de chasser les Juifs par une persécution sans cesse plus radicale. La liste des métiers interdits s'allonge sans fin, celle des brimades et des interdictions aussi : toute vie normale leur est rendue impossible, afin de les contraindre à l'émigration hors du Reich. Mais beaucoup refusent de quitter leur pays, et à partir de 1938, la volonté nazie d'expansion territoriale met cette politique dans une impasse : à chaque agrandissement, le Reich absorbe plus de Juifs qu'il n'en sort de ses frontières.

 

C'est le cas lorsqu'il annexe l'Autriche en mars 1938 (l'Anschluss est accompagnée d'un déchaînement immédiat de brutalités contre les Juifs, agressés, battus, dépouillés ou humiliés jusqu'en pleine rue), puis lors du rattachement des Sudètes (octobre 1938) et de l'entrée des troupes allemandes à Prague le 15 mars 1939. La conquête de la Pologne, en septembre 1939, fait à elle seule tomber plus de trois millions de Juifs sous la coupe des nazis.

 

 

Autodafé le 11 mai 1933

 

Le 1er septembre 1939, Hitler autorise personnellement l'Aktion T4, qui entraîne l'extermination par gazage de plus de 150 000 handicapés mentaux allemands en deux ans, dans des « centres d'euthanasie » prévus à cet effet. Les forces nazies fusillent en outre systématiquement les malades incurables qu'elles trouvent en Pologne et en URSS occupées. La continuité entre cette politique d'eugénisme criminelle et la Shoah est très importante : nombre de spécialistes de l'euthanasie sont ensuite réaffectés au gazage massif des Juifs, qui survient à son tour à partir de fin 1941.

 

Humiliation publique d'un notable juif à Munich en 1933

 

L'élimination physique des Juifs a commencé à partir de la nuit de Cristal du 9 novembre 1938, pogrom planifié d'en-haut qui fait 91 morts à travers toute l'Allemagne et entraîne l'arrestation de 30 000 Juifs conduits en camp de concentration, la dévastation de centaines de magasins et la destruction de dizaines de synagogues.

 

 

Timbre de la RFA commémorant la nuit de Cristal (9 novembre 1938).

 

Le 30 janvier 1939, pour le sixième anniversaire de sa prise du pouvoir, dans un discours tonitruant devant le Reichstag, Hitler « prophétise » qu'au cas où les Juifs « provoqueraient » une nouvelle guerre mondiale, la conséquence en serait « l'extermination des Juifs d'Europe ». Or c'est à l'accomplissement de cette « prophétie » que lui-même comme Goebbels et de nombreux responsables nazis feront de nombreuses références au cours de la guerre.

En particulier, lorsque la guerre devient mondiale en décembre 1941 avec l'agression japonaise à Pearl Harbor et la déclaration de guerre du Reich aux États-Unis, Hitler et son entourage se persuadent qu'il faut « punir » les Juifs, jugés responsables de la guerre que l'Axe a elle-même provoquée, et donc vus comme coupables des pertes allemandes au front ou des bombardements sur les villes.

 

Hantés par le mythe mensonger du « coup de poignard dans le dos » (l'Allemagne aurait perdu la guerre en 1918 sans être militairement vaincue, mais parce qu'elle aurait été trahie de l'intérieur, entre autres par les Juifs), les nazis veulent aussi anéantir la menace imaginaire que représenteraient les communautés du continent. Beaucoup de tortionnaires seront persuadés de mener contre ces civils désarmés une lutte toute aussi méritoire que celle des combattants au front.

 

Dans son célèbre discours secret de Posen prononcé en octobre 1943, Himmler justifie la nécessité pour les Allemands de tuer aussi les femmes et les enfants en raison du danger que ces derniers exercent un jour des représailles sur eux-mêmes ou leurs propres enfants. C'est à cette occasion qu'il qualifie le massacre en cours de « page glorieuse de notre histoire, et qui ne sera jamais écrite ».

 

À l'heure où ils entrent en guerre totale, les nazis veulent aussi brûler leurs vaisseaux en perpétrant un crime d'une telle gravité qu'il rend impossible tout compromis et ne leur laisse le choix qu'entre se battre jusqu'au bout ou l'assurance de finir tous condamnés et punis.

Au-delà, la Shoah est l'aboutissement logique de la haine idéologique absolue des antisémites nazis pour une « race » qu'ils ne jugent pas seulement inférieure, mais radicalement nuisible et dangereuse. Vus comme des « poux » et des « vermines », exclus de l'humanité (au point qu'on ne se donnera jamais la peine d'établir aucun décret les condamnant à mort, a fortiori de le lire aux victimes), les Juifs n'ont pas leur place sur terre - notamment pas dans l'espace vital arraché à l'Est sur les « sous-hommes » slaves.

 

Le judéocide trouve en effet aussi en partie ses origines dans le vaste projet de remodelage démographique de l'Europe mis au point par les nazis, secondés par une pléthore d'experts, de géographes et de savants souvent hautement diplômés. Dans l'espace vital conquis à l'Est, il s'agit de faire de la place pour des colons allemands en déportant les Slaves en masse, mais aussi en les stérilisant et en les réduisant à l'état d'une masse de sous-hommes voués à l'esclavage, tandis que les mêmes territoires doivent être nettoyés des Tziganes et surtout des Juifs par l'extermination.

 

Ces projets démographiques ne sont toutefois qu'un point de départ. Car à partir du meurtre des Juifs de l'Est, c'est par extension, par pure haine idéologique, tous les Juifs d'Europe et tous ceux du monde entier tombés sous la coupe des hitlériens qui, doivent être tués (en 1943, on verra même les nazis déporter par avion 200 Juifs de Tunis vers les camps de la mort, tandis qu'Hitler demandera en vain à ses alliés japonais de s'en prendre aux Juifs allemands réfugiés à Shanghai).

Dès la conquête de la Pologne en septembre 1939, près de 10 000 Juifs sont fusillés par les Einsatzgruppen (uniquement des hommes adultes, toutefois). Les Juifs polonais sont enfermés dans des ghettos mortifères où la faim, le travail forcé, les mauvais traitements et les exécutions sommaires font des coupes claires parmis la population juives de Pologne.

 

 

Lettre de Göring à Heydrich chargeant ce dernier d'organiser la « solution finale de la question juive », juillet 1941.

 

Après l'agression de l'URSS le 22 juin 1941, cependant, la violence meurtrière se déchaîne à une échelle sans précédent : ce sont près de 1 500 000 Juifs qui périssent en quelques mois, fusillés par les Einsatzgruppen, et cette fois-ci, essentiellement des femmes, des enfants, des vieillards ou des hommes adultes non mobilisés.

 

En 1940, le Plan Madagascar des Allemands prévoyait encore une émigration massive et forcée des Juifs d'Europe occupée vers Madagascar qui serait devenue une « réserve juive ». La continuation du conflit avec le Royaume-Uni empêche cette solution à la « question juive » d'aboutir. Début 1941, Hitler songe également à déporter les Juifs en Sibérie : cette solution aurait suffi à entraîner une hécatombe et était donc déjà en elle-même quasi-génocidaire. Mais dès le ralentissement de l'avancée allemande en Russie à l'automne 1941 et avant même l'échec de la Wehrmacht devant Moscou, cette solution n'est plus à l'ordre du jour.

L'extermination de la totalité des Juifs d'Europe est décidée dans le courant de l'automne 1941. Le 31 juillet 1941, le haut chef SS Reinhard Heydrich se fait signer par Hermann Göring, no 2 du régime, un ordre officiel secret qui lui confie la recherche et la mise en œuvre d'une « solution finale au problème juif ». Sans doute vers la fin de l'été, Adolf Eichmann est convoqué dans le bureau de Reinhard Heydrich, qui lui dit : « Je sors de chez le Reichsführer Heinrich Himmler ; le Führer Adolf Hitler a maintenant ordonné l'extermination physique des Juifs. »

 

Pour Raul Hilberg, la Shoah est un crime de bureaucrates, qui passent d'une étape à l'autre, minutieusement, logiquement, mais sans plan préétabli. Cette analyse a été approuvée par les autres spécialistes de la Shoah, mais le moment exact où l'intention exterminatrice apparaît fait l'objet de débats, analysés ci-après dans la section « Historiographie » de l'article.

 

L'extermination des Juifs d'Europe orientale (1939-1941)

Les ghettos

 

La construction du mur du Ghetto de Varsovie

 

Après l'invasion allemande de la Pologne, les Juifs de ce pays sont contraints de vivre dans des quartiers clos, les ghettos. Les conditions de vie y sont nettement dures pour trois raisons. D’abord, les responsables de la concentration des Juifs en Pologne sont, souvent, des membres de la NSDAP, et non, comme en Allemagne, des fonctionnaires sans affiliation partisane. Ensuite, les Juifs polonais représentent ce qu’il y a de plus méprisable dans la mythologie nazie, et sont les plus persécutés dès avant la guerre. Enfin, les Juifs étaient beaucoup plus nombreux numériquement et proportionnellement, en Pologne (3,3 millions, dont deux millions dans la zone allemande, sur 33 millions d’habitants dans tout le pays) qu’en Allemagne. Les Juifs de l’Ancien Reich (frontières de 1937) sont également déportés vers les ghettos de Pologne, à partir de 1940.

 

Les premiers ghettos sont édifiés dans la partie de la Pologne « incorporée » au Reich, pendant l’hiver 1939-1940, puis dans le gouvernement général, partie de la Pologne administrée par Hans Frank. Le plus ancien est le ghetto de Łódź, le plus grand, celui de Varsovie. La ghettoïsation est achevée pour l’essentiel au cours de l’année 1941, et complètement terminée en 1942.

 

À l’intérieur même du ghetto, les mouvements des Juifs sont limités : ils doivent rester chez eux de dix-neuf heures à sept heures. La surveillance extérieure est assurée par la police régulière et la surveillance intérieure par la Police de sûreté (Gestapo et Kripo), elle-même renforcée par la police régulière, à la demande de cette dernière.

Dès le 26 octobre 1939, le principe du travail forcé pour les Juifs de Pologne est adopté. Les Juifs sont décimés par la malnutrition, les épidémies — notamment de typhus, de tuberculose, de grippe —, et la fatigue consécutive au travail que leur imposent les autorités allemandes. Par exemple, le ghetto de Łódź, qui compte 200 000 habitants à l’origine, compte plus de 45 000 morts jusqu’en août 1944. Au cours de l'année 1943, sur l'ordre d'Himmler, les ghettos sont progressivement réorganisés en camps de concentration. Ce ne sont plus les administrations civiles qui s'en occupent mais les SS. En Ostland, les tueries continuent jusqu'à la disparition quasi-totale de Juifs. À partir de décembre 1941, les survivants des ghettos sont déportés vers les centres de mise à mort. Les premiers sont les Juifs du Wartheland, envoyés à Chełmno. En mars 1942, ceux de Lublin sont envoyés à Belzec. À partir de juillet, le ghetto de Varsovie commence à être vidé.

 

Les unités mobiles de tuerie : la première vague de massacres

Le 13 mars 1941, pendant les préparatifs de l'invasion de l'URSS, le feld-maréchal Keitel rédige une série d’« ordre pour les zones spéciales » :

« Dans la zone des opérations armées, au Reichsführer SS Himmler seront confiées, au nom du Führer, les tâches spéciales en vue de préparer le passage à l’administration politique — tâche qu'impose la lutte finale qui devra se livrer entre deux systèmes politiques opposés. Dans le cadre de ces tâches, le Reichsführer SS agira en toute indépendance et sous sa propre responsabilité. »

 

En termes clairs, il est décidé que des unités mobiles du RSHA, les Einsatzgruppen, seraient chargées d'exterminer les Juifs — ainsi que les Tziganes, les cadres communistes, voire les handicapés et les homosexuels. Ce passage aurait été dicté par Adolf Hitler en personne.

Pendant les premières semaines, les membres des Einsatzgruppen, inexpérimentés en matière d'extermination, ne tuent que les hommes juifs. À partir d'août, les autorités centrales clarifient leurs intentions, et les Juifs sont assassinés par familles entières. Les Einsatzgruppen se déplacent par petits groupes, les Einsatzkommandos, pour massacrer leurs victimes. Ils se placent le plus près possible des lignes de front, quitte à revenir vers l'arrière après avoir massacré leurs premières victimes. C'est le cas, par exemple, de l’Einsatzgruppe A, qui s’approche de Leningrad avec les autres troupes, puis se replie vers les pays baltes et la Biélorussie, détruisant, entre autres, les communautés juives de Liepāja, Riga, Kaunas (en treize opérations successives) et Vilnius (en quatorze attaques). Dans les premiers mois de l'invasion de l'URSS, les unités mobiles annoncent près de 100 000 tués par mois.

 

Les SS sont assistés par une partie de la Wehrmacht. Dans bien des cas, les soldats raflent eux-mêmes les Juifs pour que les Einsatzkommados les fusillent, participent eux-mêmes aux massacres, fusillent, sous prétexte de représailles, des Juifs. Ainsi, à Minsk, plusieurs milliers de « Juifs, criminels, fonctionnaires soviétiques et asiatiques » sont rassemblés dans un camp d’internement, puis assassinés par des membres de l’Einsatzgruppe B et de la Police secrète de campagne. Leur action est complétée par des unités formées par les chefs de la SS et de la Police, ou plus rarement par la seule Gestapo. C’est le cas, notamment, à Memel (plusieurs milliers de victimes), Minsk (2 278 victimes), Dnipropetrovsk (15 000 victimes) et Riga. Des troupes roumaines participent également aux fusillades, ainsi que le Sonderkommando letton de Viktors Arājs: responsable à lui seul de la mort d'entre 50 000 et 100 000 personnes (juives et/ou communistes), Arājs ne sera condamné qu'en 1979.

 

 

Une femme juive et son enfant fusillés par les Einsatzgruppen pendant que d'autres victimes doivent creuser leur fosse. Ivangorod, Ukraine, 1942.

 

Les procédures de massacres sont standardisées pour être rapides et efficaces. Les Einsatzgruppen choisissent généralement un lieu en dehors de la ville. Ils approfondissent un fossé anti-char ou creusent une nouvelle fosse. À partir d'un point de rassemblement, ils amènent les victimes jusqu'au fossé par petits groupes en commençant par les hommes. Les prisonniers remettent alors tout ce qu'ils ont comme objet de valeur au chef des tueurs. Par beau temps, ils doivent donner leurs vêtement et même parfois leur linge de corps.
Certains
Einsatzgruppen alignent les condamnés face aux fossés puis les mitraillent laissant leurs corps inertes tomber dans la tombe collective. D'autres tirent une balle dans la nuque de chaque condamné.

 

Paul Blobel et Ohlendorf, commandants d’Einsaztgruppen refusent ces méthodes jugées trop stressantes pour les SS et préfèrent les tirs à distance. Ils utilisent ce qui a été appelé le « système des sardines », Ölsardinenmanier : Une première rangée de victimes doit s'allonger au fond du fossé. Elle est fusillée du haut du fossé par des tirs croisés. Les suivants se couchent à leur tour sur les cadavres de la première rangée et la fusillade recommence. À la cinquième ou sixième couche, la tombe est recouverte de terre. Les Einsaztgruppen veulent que leurs actions soient la plus discrète possible et s'efforcent d'agir à l'écart des populations civiles et de la Wehrmacht.

 

Les Einsatzgruppen s’efforcent de susciter des pogroms locaux, à la fois pour diminuer leur charge de travail et pour impliquer une part maximale de la population locale dans l’anéantissement des Juifs. Les bureaucrates du RSHA et les commandants de l’armée ne souhaitent pas que de telles méthodes soient employées, les uns parce que ces formes de tueries leur paraissent primitives et donc d’une efficacité médiocre par rapport à l’extermination soigneuse des Einsatzgruppen ; les autres parce que ces pogroms font mauvais effet. Les pogroms ont donc lieu, principalement, dans des territoires où le commandement militaire était encore mal assuré de son autorité : en Galicie et dans les pays baltes, tout particulièrement en Lituanie.

 

En quelques jours, des Lituaniens massacrent 3 800 Juifs à Kaunas. Les Einsatzgruppen trouvent une aide plus importante et plus durable en formant des bataillons auxiliaires dans la population locale, dès le début de l’été 1941. Ils ont été créés, pour la plupart, dans les pays baltes et en Ukraine. L’Einsatzkommando 4a (de l’Einsatzgruppe C) décide ainsi de ne plus fusiller que les adultes, les Ukrainiens se chargeant d’assassiner les enfants. Quelquefois, la férocité des collaborateurs locaux effraie jusqu’aux cadres des Einsatzgruppen eux-mêmes. C’est le cas, en particulier, des membres de l’Einsatzkommando 6 (de l’Einsatzgruppe C), « littéralement épouvantés par la soif de sang » que manifeste un groupe d’« Allemands ethniques » ukrainiens.

Le recrutement en Ukraine, Lituanie et Lettonie est d’autant plus facile qu’un fort antisémitisme y sévissait avant la guerre — à la différence de l’Estonie, où la haine des Juifs était presque inexistante.

Lorsque les tueurs estiment que l’extermination prendra du temps, ils créent des ghettos pour y parquer les survivants, en attendant leur élimination. Mais dans plusieurs cas, cette création n’est pas nécessaire, notamment à Kiev : 33 000 Juifs sont assassinés en quelques jours, près de Babi Yar.

 

Exécution de femmes juives près de Babi Yar

 

 

De passage à Minsk, le 15 août 1941, Himmler assiste à une opération mobile de tuerie. Ébranlé par le massacre mais pénétré de l'importance supérieure de ses actes, il demande à ses subordonnés de chercher un moyen moins traumatisant pour les SS de remplir leur mission.

 

C'est ainsi que les premiers camions à gaz sont testés. À partir de décembre 1941, deux à trois camions à gaz sont envoyés dans chaque Einsatzgruppe. Le procédé est toujours le même. Les camions sont garés à l'écart. Des groupes de 70 juifs en linge de corps s'entassent à l'intérieur. Les gaz d'échappement sont déversés à l'intérieur faisant suffoquer les victimes. Les camions roulent ensuite jusqu'au fossé où les corps inanimés sont jetés. Mais la pluie met à mal l'étanchéité des camions. Les hommes souffrent de maux de tête en déchargeant les camions, car tous les gaz d'échappement ne se sont pas dispersés. La vision des visages défigurés des asphyxiés stresse les SS.

 

Selon le tribunal de Nuremberg, environ deux millions de Juifs ont été assassinés par les unités mobiles de tuerie — une estimation reprise à son compte par Lucy S. Dawidowicz. Raul Hilberg compte de son côté 1,4 million de victimes, et Léon Poliakov 1,5 million, mais cette fois pour la seule URSS.

 

La deuxième vague (1942)

La première vague de massacres s'arrête pour l'essentiel à la fin de l'année 1941, sauf en Crimée où elle se prolonge jusqu'à l'été 1942.

Une deuxième vague de tuerie s'amorce dès la fin de l'année 1941 dans les régions de la Baltique et se diffuse tout au long de l'année 1942 dans tous les territoires occupés.

 

 

Rapport de Himmler à Hitler faisant état de l'assassinat de 363 211 Juifs de la région de Białystok entre le 1er octobre et le 1er décembre 1942.

 

Les Einsatzgruppen jouent un rôle moins important. Ils sont placés sous le commandement des chefs suprêmes des SS et de la police. Les effectifs de la police régulière s'accroissent beaucoup pour prendre part à la deuxième vague de massacres. À la fin de l'année 1942, 5 régiments de la police régulières servent sur le front, 4 sont stationnés à l'arrière, renforcés par 6 bataillons supplémentaires qui obéissent tous aux dirigeants SS et de la police. Les villes importantes et les zones rurales des régions occupées fournissent elles aussi des éléments. Ces éléments recrutés sur place sont essentiellement composés de Baltes, Biélorusses et Ukrainiens. Ils forment la Schutzmannschaft (Schuma en abrégé). Son effectif passe de 33 270 hommes au milieu de l'année 1942 à 47 974 à la fin de l'année. Les SS reçoivent aussi l'appui de la gendarmerie militaire et de la police secrète militaire.

Dans l’Ostland, il reste au début de l'année 1942, environ 100 000 Juifs. Environ 68 000 vivent dans les grands ghettos, le reste a trouvé refuge dans les forêts, certains comme partisans. En janvier 1942, les SS et la police du Nord commencent à ratisser la région méthodiquement, zone par zone, tuant les Juifs des petits ghettos et exécutant ceux des forêts. Seulement quelques milliers parviennent à en réchapper. En même temps, se prépare la destruction des grands ghettos de l’Ostland.

 

La méthode est souvent la même. La veille de la tuerie, un détachement juif creuse des grandes tombes. Dans la nuit ou à l'aube, les forces allemandes pénètrent dans le ghetto et rassemblent les Juifs. Ceux qui tentent de se cacher sont exécutés parfois à la grenade. Ceux qui se sont groupés sont amenés par camions jusqu'aux fosses communes où ils sont exécutés par balle. Fin 1942, il n'y pas plus de Juifs en Ukraine.

 

 

Paul Blobel

 

Malgré toutes les précautions d'Himmler pour garder les tueries secrètes, des photos prises par des soldats alliés, hongrois ou slovaques circulent. Himmler craint aussi que les Soviétiques ne découvrent un jour les charniers, si l'armée allemande recule. Il ordonne à Paul Blobel d'effacer les traces des exécutions des Einsatzgruppen. Le commando « 1005 » reçoit la mission de rouvrir les tombes et de brûler deux millions de cadavres. Mais ce travail est imparfaitement accompli pour de nombreuses raisons.

 

 

 

Encore en novembre 1943, pour démanteler l'empire économique que son subordonné Odilo Globocnik s'est taillé autour de Lublin grâce à la main-d'œuvre juive servile, Himmler ordonne le massacre de cette dernière : en deux jours, plus de 40 000 Juifs sont assassinés au cours de ce qui est connu comme l'opération « Fête des Moissons.

 

Autres fusillades de juifs en Europe occupée

La Pologne et les Balkans occupés ont vu de nombreux massacres de Juifs par fusillade, mais aussi par pendaison, noyade ou sévices exercés jusqu'à la mort. Les cas de la Roumanie, de la Serbie et de la Croatie sont décrits ci-après à la sixième partie de cet article.

En Europe de l'Ouest, la terreur nazie revêt des formes moins amples et de tels déchaînements publics de sauvagerie sont difficilement pensables. Les massacres collectifs de Juifs en plein air sont de ce fait restés rares ou inexistants. Cependant, les nombreux otages fusillés par les nazis sont souvent pris parmi les Juifs.

 

 

 

Serge Klarsfeld a ainsi établi que sur plus d'un millier d'otages assassinés au fort du Mont-Valérien, 174 étaient juifs. Encore en juillet 1944, à Rillieux-la-Pape, le chef milicien Paul Touvier fait abattre arbitrairement sept Juifs pour venger la mort de l'orateur collaborationniste Philippe Henriot, exécuté par la Résistance. Des Juifs italiens figurent parmi les victimes du massacre des Fosses ardéatines à Rome en mars 1944.

 

 

 

 

Du massacre à l’Est au génocide en Europe (automne 1941)

 

L'élimination physique s'étend au cours de l'automne 1941 aux Juifs allemands puis à ceux de toute l'Europe occupée. C'est le passage décisif d'un judéocide jusque là localisé en URSS à un génocide industriel planifié de l'ensemble du peuple juif et mis en œuvre dans toute l'Europe occupée.

 

 

À partir de septembre - octobre 1941, des Juifs allemands sont à leur tour déportés dans les ghettos mortifères de l’Est, voire dans les zones de massacre en URSS. 80 convois partent ainsi du Reich avant fin 1941. Dans des conditions épouvantables, 72 trains acheminent leur chargement humain dans des ghettos où les fusillades ont libéré de la place (presque tous périront gazés ou fusillés à leur tour lors des liquidations de ghettos en 1942-1943). 8 autres voient leurs passagers liquidés dès l'arrivée.

 

Ainsi le 15 octobre, près de 5 000 Juifs déportés de Berlin, Munich, Francfort, Vienne ou Breslau sont déportés en Lituanie et fusillés par les Einsatzgruppen dès leur descente du train : le rapport Jäger fait état de leur exécution au fort IX de Kaunas les 25 et 29 novembre. Le 18 octobre, d'autres convois quittent Prague, Luxembourg ou Berlin. Tout le Grand-Reich est donc concerné.

 

 

On bascule un peu plus du meurtre des Juifs d’URSS à ceux de l’espace européen entier lorsque le 2 octobre, Heydrich laisse dynamiter six synagogues de Paris par les collaborationnistes doriotistes du PPF, avec des explosifs fournis par ses services, afin de bien montrer que la France ne sera plus jamais « la citadelle européenne des Juifs » et que ceux-ci doivent craindre pour leur vie partout en Europe occupée.

 

Le 23 octobre, Himmler interdit officiellement l’émigration des Juifs. Ne reste donc plus ouverte que l’option de l'extermination.

Le 7 décembre, le premier camp d'extermination est ouvert à Chełmno en Pologne annexée : de fusillades « artisanales », la tuerie passe à l'échelle industrielle. Les victimes, emmenées de tout le Warthegau dirigé par le fanatique gauleiter Arthur Greiser, sont enfermées dans des camions à gaz où elles meurent lentement asphyxiées par les fumées d'échappement, dirigées sur l'intérieur du véhicule. En sept mois, plus de 100 000 personnes trouvent ainsi la mort.

Au même moment, la construction de Belzec et celle de Sobibor sont lancées.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



03/07/2012
0 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour