Les Einsatzgruppen 1e partie
22 juin 1941 : opération Barbarossa. Immédiatement dans le sillage de la Wehrmacht, des unités de la police et de la SS, les Einsatzgruppen, vont opérer sur les arrières, menant une campagne de meurtres sans précédent contre la population Juive et les responsables communistes. Des fusillades en masse ont lieu dans les conditions d’une innommable barbarie. Jusqu’en décembre 1941, plus de 500.000 personnes vont être exécutées sur le front est. C’est à partir et au cours de cette période que se met en place la politique « exterminationniste » des nazis, qui va s’appliquer systématiquement à toute la population Juive de l’Europe nazie. Cette décision est directement et intimement liée à cette campagne de Russie. Eût-elle été prise avant, l’extermination des Juifs de la zone du Reich aurait certainement déjà commencé, ce qui n’a pas été le cas.
L’environnement de l’opération Barbarossa
Il est important de connaître l’environnement de l’opération Barbarossa. Pour le Führer, c’est d’abord une campagne qui doit durer quelques mois, le temps du combat à mort entre deux idéologies, entre deux « messianismes » irréconciliables : celle du « Herrenvolk » contre la race judéo bolchevique abâtardie. La guerre que livre le Reich doit non seulement vaincre, mais anéantir l’ennemi. L’Etat soviétique doit être détruit par l’emploi de la « violence la plus brutale ». Il faut liquider les fonctionnaires communistes et « l’intelligentsia judéo-bolchévique ». Suite à la victoire, plusieurs états satellites seront créés, constitués d’esclaves et de réserves de main d’oeuvre.
Les commissaires soviétiques sont des criminels et doivent être traités comme tels : c’est dans ce sens que Keitel signe son fameux « Kommissarbefehl » pour la Wehrmacht du 6 juin 1941 : d’une part, l’action des tribunaux militaires est suspendue pendant la campagne, d’autre part les commissaires politiques ne sont pas considérés comme prisonniers de guerre et doivent être immédiatement exécutés. Si l’armée est prête à certaines exactions au vu de son anti slavisme, de son anticommunisme et de son antijudaïsme, elle préfère cependant se décharger de cette tâche sur Himmler.
Pendaison de Juifs
Déportations du Reich et massacres à l'est, novembre 1941
Ce dernier nomme dans les zones arrière les HSSPF ou « Höhere SS und Polizeiführer », ses représentants directs auxquels sont subordonnés les troupes de police, les troupes de SS et les Einsatzgruppen. Ces troupes spéciales, outre le maintien de la sécurité, ont deux missions principales : exécuter les fonctionnaires du parti communiste soviétique, les éléments radicaux et les « juifs occupant des positions dans le parti et l’Etat » (« Juden in Partei und Staadsstellungen ») (Heydrich aux HSSPF, 2 juillet 1941) d’une part, et organiser d’autre part des pogroms afin de terroriser les populations juives et les pousser à la fuite vers l’Est. Himmler avait à cet effet fait rédiger un mémorandum aujourd’hui disparu, le « General plan Ost » daté du 15 juillet 1941 : ce plan est envisageait l’expulsion de près de 31 millions de personnes, dont les 5-6 millions de Juifs des nouveaux territoires conquis vers la Sibérie occidentale et l’implantation de 4,5 millions de colons allemands.
De son côté, Rosenberg, nommé ministre pour les Territoires de l’Est le 17 juillet 1941 fixe comme un des objectifs la transplantation des Juifs avec les autres indésirables, dans un territoire à déterminer. Quant à Frank, certain que les Juifs seront expulsés vers l’Est, il fait cesser l’érection de nouveaux ghettos, le Führer lui ayant déclaré que les Juifs quitteraient le Generalgouvernement dans un « proche avenir » (Entretien du 19 juin 1941).
De la « transplantation » à l’extermination
Carte des campagnes des Einsatzgruppen sur le front est : un « assaut » contre les Juifs strictement et méticuleusement planifié.
Dans les premières semaines de la campagne, les victimes parmi les Juifs sont essentiellement des hommes. De plus elles sont tuées suivant les dispositions de la loi martiale, devant un peloton d’exécution armé de fusils ou de carabines avec salve tirée sur ordre de feu. Les victimes gardent leurs habits.
Mais quelques semaines plus tard, il n’y a plus de procédure militaire. On est passé à la « boucherie de masse » : les victimes sont aussi bien des hommes, femmes et enfants, jeunes ou vieux, malades ou bien portants. Il n’y a plus de pelotons, mais des exécutions par balle dans la tète des victimes désormais dénudées et agenouillées au bord d’une fosse et le dos tourné à leur meurtrier, ou encore allongées dans celle-ci, sur une « couche de victimes » qui venaient d’être tuées, l’élargissement des victimes est absolument prioritaire et fait sacrifier toute la procédure « classique » d’exécution à l’efficacité et au gain de temps. Ces premiers massacres d’un genre totalement nouveau montrent partout une impréparation dans les techniques et dans les méthodes, une grande improvisation, un manque d’apprentissage : tout indique que sur le terrain, personne n’était préparé à ce massacre de masse : il est clair que l’ordre de l’extermination de masse n’est pas venu directement le 22 juin, mais bien quelques semaines plus tard.
Certes, dès le départ, les Einsatzgruppen de Heydrich pratiquent chaque jour des exécutions, et par centaines. Des pogroms sont organisés, particulièrement efficaces en Ukraine et dans pays Baltes, où les auxiliaires Ukrainiens et Baltes se montrent souvent plus terribles que les SS : mais ce sont toujours, et presque exclusivement, des juifs hommes qui sont fusillés, avec une priorité absolue pour les enseignants, avocats, rabbins, membres de l’intelligentsia, hormis les médecins. De plus, les Einsatzgruppen créent sur leur passage des conseils Juifs, les « Judenräte », édictent des mesures, créent des ghettos : ils frappent et avancent suivant un plan clairement préparé. Seule une petite partie de la population Juive et bolchevique est alors éliminée : Heydrich veut faire vite et véritablement « coller au front », au point de demander le 4 juillet la constitution d’un commando spécial prévoyant de s’occuper de Moscou, le « Vorkommando Moskau ». Les rapports des Einsatzgruppen font état en juillet encore de « transplantation » des populations juives.
Tableau des victimes potentielles des Einsatzgruppen à l’Est
Les unités mobiles de tuerie, « Einsatzgruppen », juillet - novembre 1941
Seul l’Einsatzgruppe A reçoit des ordres différents : il doit agir plus brutalement dans sa zone géographique en vue de la nettoyer plus rapidement : en effet l’Ostland (anciens Pays Baltes) doit être annexé au Reich, et Stahlecker reçoit probablement des ordres plus précis dès le 22 juin 1941. Il s’y emploie d’ailleurs énergiquement, mais la « Liquidation la plus large possible des Juifs » ne signifie pas encore l’extermination totale. Ainsi le 11 juillet il rapporte que 7 800 juifs on été tués dans la région de Kovno, particulièrement par des collaborateurs lithuaniens, mais aussi qu’il a ordonné la fin des fusillades en masse et de ne fusiller des Juifs que dans la mesure où il y aurait des motifs particuliers.
Les chiffres du Kommando 3 de l’EG A (Jäger) sont d’ailleurs éloquents, montrant un changement radical à partir de la mi-août, où l’on passe véritablement au génocide :
Rapport Stahlecker sur les exécutions :
Date Hommes Femmes Enfant Total
Juillet 41 4 104 135 -------- 4 239
1-15 août 41 4 500 (environ) 250 (environ) ------- 4 756
16-31 août 41 1/3 environ 1/3 environ 1/3 environ 32 430
Septembre 41 15 104 26 243 15 112 56 459
Les autres chiffres des rapports des divers Einsatzgruppen montrent eux aussi clairement qu’à partir de la mi-août on passe véritablement à un processus génocidaire :
Groupe 20 août 30 septembre 15 octobre 2 novembre
Groupe A 5.000 ---------------- 120.000 ----------------
Groupe B 16.964 30.094 ---------------- ----------------
Groupe C 8.000 --------------- ---------------- 80.000
Groupe D 8.425 35.782 ---------------- ----------------
Selon toute probabilité, les Einsatzgruppen reçurent au départ la mission d’anéantir dans la mesure du possible les élites juives, et subsidiairement d’asséner un coup sanglant à la population juive en organisant des pogroms. Une escalade commença à se produire un mois plus tard, qui connut un tournant décisif quelque part entre la fin de juillet et la fin d’août lorsque les femmes et les enfants furent inclus dans le massacre. Manifestement, les Juifs payaient de leur vie, en progression géométrique, le prolongement d’une campagne qui aurait dû se terminer en septembre.