Seconde Guerre mondial

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LES ENFANTS D’IZIEU 6 avril 1944 2 partie

Lieu de vie

 

 « Ici, vous serez tranquilles »

 

 

 

Par ces mots, le sous-préfet de Belley, Pierre-Marcel Wiltzer, approuve le choix que fait Sabine Zlatin en ce début de printemps 1943 d’ouvrir une maison d’enfants à Izieu.

 

 

 

Izieu est un village du Bugey, dans l’Ain, loin des routes principales, qui jouit d’un beau panorama sur la Chartreuse et le nord du Vercors. À cette époque, le village est situé en zone d’occupation italienne, temporairement à l’abri des persécutions antisémites.

 

 

 

L’installation de la colonie se fait légalement, avec l’appui de la sous-préfecture de Belley. La colonie n’est pas cachée ou clandestine. Peu à peu le quotidien s’organise et les membres de la colonie trouvent leur place dans cet environnement rural. Des liens se tissent avec les habitants et les institutions locales.

 

 

 

Le lieu semble un véritable havre de paix, loin des conflits et des persécutions. Si les plus petits souffrent de la séparation brutale d’avec leurs parents, dont ils sont parfois sans nouvelles, les adolescents et les adultes pensent être en sécurité.

 

 

 

 « Nous sommes arrivés en camion, pas en autocar, en camion ; et je me rappelle toujours, vous savez, Reifman, il a sauté du camion et a dit :

 

"Quel paradis !" »

 

Sabine Zlatin, directrice de la colonie

Les membres de la colonie

Les enfants

 

 

Miron Zlatin tient chaque mois à jour les listes des enfants présents à la colonie afin de justifier des sommes versées par l’OSE-UGIF pour la prise en charge de chacun.

La première liste est datée du mois de mai 1943 : y est notée l’arrivée de 9 enfants juifs réfugiés de l’Hérault, rejoints le 28 mai par 5 autres enfants.

Des enfants arrivent, d’autres repartent. En septembre 1943, la maison héberge jusqu’à 64 enfants en même temps.

 

Jusqu’en janvier 1944, date de la dernière liste du registre tenu par Miron Zlatin, il est attesté que 105 enfants de tous âges ont séjourné à la colonie d’Izieu. Certains restent quelques semaines, d’autres quelques mois. Pour eux, la maison est un lieu de passage avant de rejoindre leur famille qui a pu se mettre à l’abri, de trouver refuge en Suisse ou d’être dirigés vers d’autres maisons ou familles d’accueil.

 

Selon les circonstances de leur arrivée à la colonie et leur âge, les enfants découvrent la maison sous un jour très différent.

Alec Bergman (13 ans), arrivé l’été avec ses deux amis, Marcel et Coco Bulka, la voit comme une simple colonie de vacances. Samuel Pintel (6 ans), qui vient d’être brutalement séparé de sa mère lors d’une rafle, s’y sent isoler et pense être le seul enfant juif.

Quelques enfants non juifs sont accueillis à la colonie au cours de l’été 1943, pour des raisons sociales ou des vacances.

 

 « À l’époque, moi, j’avais personnellement le sentiment d’être en sécurité parce que, si je ne me trompe pas, Izieu était dans la zone italienne et les Italiens n’ont rien fait contre les Juifs. Je crois que tous les enfants qui étaient là n’auraient pas demandé mieux que de finir la guerre là-bas ; on avait la tranquillité. »

 

Henry Alexander, accueilli à la colonie de mi-juillet à fin août 1943

 

Les adultes

 

 Miron Zlatin organise et dirige la colonie au quotidien.

 

Sabine Zlatin se charge des contacts avec l’extérieur. Elle effectue les trajets entre Izieu et Montpellier, où elle poursuit ses activités d’assistante sociale et d’aide à plusieurs familles.

 

 

 

Ils s’entourent d’un groupe d’adultes, juifs ou non, pour encadrer les enfants.

 

Parmi les adultes présents au quotidien :

 

Léa Feldblum, Lucie Feiger, Mina Friedler avec Lucienne, sa fille de cinq ans ; la doctoresse Suzanne Reifman, accompagnée de son fils Claude et de ses parents Eva et Moïse, remplace, à partir de septembre 1943, son frère Léon Reifman, étudiant en médecine, ancien moniteur à Palavas-les-Flots. Après avoir participé à la création de la colonie, celui-ci quitte Izieu parce qu’il est recherché pour le Service du travail obligatoire. Il y revient pour les vacances de Pâques le 6 avril 1944, jour même de la rafle.

 

Des éducateurs ou membres de l’OSE apportent leur aide et travaillent à la colonie pendant plusieurs mois :

 

le cuisinier Philippe Dehan et sa mère ; Marcelle Ajzenberg ; le couple Rachel et Serge Pludermacher.

 

Des amies de Sabine Zlatin viennent aussi en renfort :

 

Berthe Mehring, Emma Blanc, et, au cours de l’été 1943, Paulette et Renée Pallarés, jeunes voisines de Sabine Zlatin à Montpellier, âgées de 17 et 19 ans.

Au quotidien

 

Colonie d’Izieu, été 1943. Séance de pluche sur la terrasse. Debout à l’arrière-plan, à gauche : Sigmund Springer ; debout au premier plan, à gauche : Georgy Halpern ; à droite : il s’agit vraisemblablement de Sabine Zlatin.

Le confort de la maison est limité. Les bâtiments ne sont pas en très bon état.

Il n’y a ni chauffage, à part de petits poêles, ni eau courante.

Marie-Antoinette Cojean, secrétaire de la sous-préfecture de Belley, sollicite les organismes sociaux pour fournir à la colonie lits, couvertures, tables et ustensiles de cuisine.

Pour le ravitaillement, le sous-préfet Pierre-Marcel Wiltzer récupère une quarantaine de cartes d’alimentation. Celles-ci ne suffisent cependant pas à nourrir tous les enfants. Miron Zlatin comble le manque en parcourant régulièrement le village et les environs avec son vélo et sa remorque. À Brégnier-Cordon, la confiserie Bilbor donne des denrées.

 

Colonie d’Izieu, été 1943. Arrivée du facteur. Au centre : Léon Reifman distribue le courrier aux enfants ; à droite : Miron Zlatin ; parmi les enfants, au centre du groupe : Sigmund Springer (torse nu), de dos, bretelles croisées, regardant le facteur : Albert Bulka (dit Coco).

Les enfants aident à la préparation des repas. En été, ils épluchent les légumes en groupe sur la terrasse. Les adolescents Théo et Paul sont chargés par Miron Zlatin de cultiver un petit jardin pour compléter le ravitaillement. Ils reçoivent pour cela un peu d’argent de poche.

 

L’été, les enfants font leur toilette à la grande fontaine.

L’hiver, la toilette se fait dans le vestibule de la maison, où de l’eau est chauffée dans un chaudron.

 

Les jeux, les baignades dans le Rhône, les promenades ou encore et surtout le dessin rythment la vie de la colonie avant l’arrivée de l’institutrice en octobre 1943. Dans une lettre à Sabine, Miron Zlatin déclare que ces enfants sont de « véritables papivores », qui lui réclament toujours cahiers et crayons.

 

Dessin de Max Tenenbaum.

Chaque fête est l’occasion de resserrer les liens : les enfants échangent leurs vœux et leurs souhaits pour leurs anniversaires ; pour Noël, ils préparent des spectacles et on fabrique quelques déguisements.

 Les enfants s’approprient les lieux, mais les souffrances et angoisses liées à la séparation, et à l’absence des parents, continuent d’être présentes.

« Je me souviens particulièrement bien, parmi les enfants, de Théo Reis, qui avait mon âge, parce qu’on a partagé la chambre au grenier. On dormait par terre, sur des matelas, on n’avait pas de lit régulier. Je me rappelle Léa Feldblum. Je me rappelle très bien son visage de l’époque et je me rappelle que c’était un peu la mère de tout le monde et qu’elle s’occupait énormément des petits.

Je me souviens qu’on mangeait raisonnablement bien. Je ne me rappelle pas que j’avais faim à Izieu. Les journées, on jouait, on s’amusait, on chantait, on faisait des promenades, des choses comme ça. »

Henry Alexander, accueilli à la colonie d’Izieu au cours de l’été 1943

 

« Je me souviens aussi d’au moins, deux fois dans l’été, des baignades dans le Rhône avec Léon Reifman, où il fallait descendre des kilomètres à travers les champs et on arrivait et, ma foi, il avait dû repérer des endroits parce que le Rhône, par endroits, c’est assez dangereux, il y a des trous, il y a des remous et il avait dû, je suppose, repérer ça très soigneusement parce que, bon, il n’est jamais rien arrivé.

Dans les moniteurs personne ne parlait l’allemand et même le yiddish, et personne ne voulait le parler ; ils voulaient qu’on parle français. Et c’était bien. »

Paul Niedermann, accueilli à la colonie d’Izieu au cours de l’été 1943

 

« Et chaque soir, je passais d’une paillasse sur l’autre, raconter une histoire parce que les garçons, il fallait leur raconter une histoire à chacun, pas forcément la même. Et là, sous cette fenêtre, il y avait Émile (Zuckerberg).

Et je finissais ma tournée par là parce qu’Émile, il fallait l’endormir. C’était un petit blond avec des yeux très bleus, avec toujours des vêtements bleus. Il était mignon, adorable ; mais alors, il était traumatisé parce qu’il avait vu arrêter ses parents.  »

Paulette Pallarés-Roche, aide-monitrice à la colonie au cours de l’été 1943.

 

Paul Niedermann, photographie donnée à Henry Alexander, rappelant leur promesse de se retrouver à Paris, sous l’Arc de Triomphe le 1/01/1945.

Resserrer les liens avec les amis, écrire à la famille

 Certains adolescents, comme Paul, Théo ou Henry, ont compris qu’ils ne reverront pas leur famille. Les plus petits espèrent.

 

Dès qu’ils ont un contact avec l’un des leurs, les enfants écrivent des lettres, envoient des dessins. Pour y raconter leur quotidien, leurs besoins et leurs espoirs.

En souvenir du temps passé à la colonie d’Izieu ou en promesse d’amitié, les adolescents échangent des photographies ou des portraits dédicacés. Le soir, souvent sur la terrasse, ils imaginent ensemble l’avenir.

 

« Est-ce qu’on parlait de nos parents ou de notre passé, de choses comme ça ? Je sais qu’on parlait de l’avenir, qu’on avait beaucoup d’espoir. On parlait d’un avenir, qu’on allait s’en sortir, se marier, créer des familles ; mais Théo et moi, on savait qu’on n’allait plus revoir nos familles ou que, si on allait les revoir, c’était par un miracle. »

Henry Alexander, accueilli à la colonie d’Izieu au cours de l’été 1943.

L’école

Depuis juin 1943, les adolescents de la colonie, Max-Marcel Balsam, Marcel Bulka, Maurice Gerenstein et Henri Goldberg, suivent les cours du collège moderne de Belley, où ils sont internes. Ils rentrent à Izieu pendant la période des congés. Gaston Lavoille, le directeur, organise leur accueil et leur intégration auprès des autres élèves.

 

Sabine Zlatin souhaite que les autres enfants aussi puissent être scolarisés. Pierre-Marcel Wiltzer, le sous-préfet de Belley, effectue à sa demande les démarches nécessaires pour permettre la création d’une classe à la colonie.

Gabrielle Perrier (Tardy, son nom d’épouse) a vingt-et-un ans quand l’inspection académique la nomme institutrice à Izieu, le 18 octobre 1943.

Atelier de menuiserie, collège moderne de Belley, 1943 ou 1944. Parmi les élèves, Henri Golberg, de la colonie d’Izieu

La classe est installée au premier étage de la maison. Elle s’organise avec l’aide de l’inspecteur d’académie Gonnet et du sous-préfet Wiltzer. Certaines communes prêtent des pupitres, quelques livres, des ardoises, une carte du monde. Gabrielle Perrier compose avec ce peu de matériel pour apprendre à chacun selon son âge et son niveau.

 

 

 

 

 

Plan de la classe de Gabrielle Perrier à la colonie d’Izieu.

 

Dans les courriers qu’il adresse à ses parents, Georgy Halpern décrit méticuleusement sa vie scolaire :

« La classe est jolie, il y a deux tableaux, il y a un poêle, des cartes de géographie, des images sur les murs, il y a 4 fenêtres, je m’amuse bien, Il y 15 bureaux" ; " en classe le matin on fait de l’écriture du calcul. L’après midi on fait une dictée ou un devoir de grammaire est quand on saie on apprend des leçons, une récitation, des verbes la table de 1 de 2 de 3 de 4 de 5 de 7 de 8 de 9 de dix. On fait des compositions j’ai u 64 points demi j’étais le troisième sur 8. »

 « J’étais très émue le jour de la rentrée en me trouvant en présence de cette quarantaine d’enfants de tous âges, dont les plus grands étaient presque des adolescents.

Je remarquai leur attitude fière, parfois grave et je compris qu’ils ne s’en laisseraient pas conter ! Ces enfants avaient souffert, étaient mûris avant l’âge. Jamais ils ne me dirent qu’ils étaient juifs : ils voulaient et savaient garder leur secret.

J’avais une classe comme toutes les autres. D’ailleurs, ils parlaient tous français, ces enfants, ils parlaient tous le français sans accent. Il y en avait parmi eux qui étaient très intelligents, il y avait des intelligences remarquables même. »

Gabrielle Perrier-Tardy (1922-2009), institutrice à la colonie d’Izieu

 

Colonie d’Izieu, été 1943. De gauche à droite : Théo Reis (debout sur la fontaine), Aimé Perticoz (voisin et ami de la colonie), Henri-Chaïm Goldberg, Emma Blanc.

La colonie s’est installée avec l’aide du sous-préfet de Belley, Pierre-Marcel Wiltzer.

Les habitants du village et des environs connaissent la présence de ces enfants juifs à Izieu.

 

 Les voisins

 Les relations avec la famille Perticoz, dont la ferme jouxte la colonie, sont très bonnes. Le fils et Julien Favet, ouvrier agricole, se lient avec la colonie. Le matin, les enfants apportent à Julien son repas dans les champs voisins.

Le village

 Pour assurer les repas de la colonie, Miron Zlatin s’approvisionne principalement au village d’Izieu, ainsi qu’en témoignent les noms des familles du village qui figurent dans son livre de comptes. 

Yvette Benguigui est la petite sœur des trois frères Benguigui présents à la colonie. Trop petite pour être prise en charge avec ses frères (elle a deux ans), elle est placée en pension dans la famille Héritier, qui habite au cœur du village. Madame Héritier assure la blanchisserie de la colonie. Sa fille Jeannette a l’âge d’Yvette.

Indépendamment de la colonie, deux enfants juifs sont placés chez les Borgey.

Tous trois échappent à la rafle du 6 avril 1944.

 

Des personnes du village se souviennent d’être parfois venues jouer, lorsqu’elles étaient enfants, avec les jeunes de la colonie.

La gendarmerie

 À trois reprises au moins, un gendarme avertit des adultes de la colonie d’un danger qui pourrait les menacer.

C’est pourquoi les éducateurs Serge et Rachel Pludermacher quittent la colonie. De même que Paul Niedermann, qui, à 16 ans, est de grande taille ; il pourrait donc attirer l’attention et passer pour un réfractaire au STO.

En août 1943, la gendarmerie de Brégnier-Cordon délivre à Léon Reifman un sauf-conduit qui lui permet de quitter Izieu et d’échapper ainsi à une arrestation dans le cadre du Service obligatoire imposés aux Juifs (organisation TODT).

 

 



08/07/2012
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