Seconde Guerre mondial

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LES RAFLES DES JUIFS 2e partie

Nuit de terreur

 

Les autobus qui servirent pour la grande rafle de Paris vers le vélodrome

 

Ce sont pour la plupart des familles endormies que les coups frappés aux portes réveilleront vers trois heures du matin. Ouvrez, Police !... Les coeurs battent dans le noir. On saisit à la hâte un vêtement pour se couvrir. Les enfants pris de peur se mettent à crier, surtout lorsque, trouvant les locataires trop lents, les policiers enfoncent les portes. Les scènes qui suivent sont atroces.
Les hommes supplient qu'on épargne leurs femmes et leurs enfants, les épouses veulent suivre leur mari, mais en laissant leurs petits à la maison. On prépare à la hâte un baluchon qui contiendra ce que l'on a de plus précieux et deux jours de vivres.

 

 

 

Des cars de police, des autobus attendent aux carrefours, tandis que les gendarmes quadrillent les rues, bloquent les quartiers. Des équipes de quatre hommes grimpent les escaliers, tambourinent aux portes, envahissent à la même heure des milliers d'immeubles endormis. Poussés en avant, encore ensommeillés et titubant comme dans un cauchemar, les familles arrêtées descendent les marches avec un bruit sourd.
Les bébés pleurent, les mères gémissent. On emmène les enfants malades, les femmes en couches. Même ceux qui viennent de mourir sont emportés sur des civières. Il ne faut pas qu'il manque un seul nom sur les listes.
Rue de Poitou, une mère affolée se jette par la fenêtre du quatrième avec ses deux petits enfants. D'autres suicides spectaculaires se succèdent. Il est difficile de les chiffrer, peut-être 106 en tout, sans compter les malades qui vont mourir au cours de l'opération.

 

 

 

Les concierges regardent passer ces cortèges lamentables. De leur degré de charité dépendront nombre de fuites ou la délation de cachettes sûres. Des enfants agiles s'esquivent entre deux portes. Mais le plus souvent, ne sachant où aller, ils se feront reprendre un peu plus tard.
Toute la nuit, la rafle se poursuit, méticuleusement.
Au petit jour, les commerçants, levant leurs rideaux de fer, contemplent avec désolation ce défilé pitoyable sur les trottoirs. Les Juifs s'entassent dans les autobus, les enfants plaquent leur visage, écrasent leurs petites mains contre les vitres tandis que sur les plates-formes s'empilent leurs misérables bagages, surveillés par des agents impassibles.
Les autobus emportent leurs prisonniers du centre intérimaire où l'on a vérifié leur identité,­ souvent un commissariat, une école jusqu'au Vel' d'Hiv'. Là seront parquées les familles avec enfants tandis qu'on emmènera directement vers Drancy les célibataires et les ménages sans enfants.

 Au fur et à mesure que les heures passent, les policiers se heurtent à des portes closes, découvrent des appartements vides. Les Juifs prévenus ont pu fuir. Les agents appliquent alors les scellés sur la porte et passent à un autre nom avec le même flegme, quitte à repasser dans la journée pour voir si leurs victimes désemparées ne sont pas revenues au nid.
En général ils se sont montrés assez polis lors des arrestations, afin de limiter dans la mesure du possible le scandale. Mais, au commissariat, le ton change, devient insultant, menaçant, afin de mettre un semblant d'ordre dans la pagaille qui commence. Les enfants ont déjà faim, ils ont envie de satisfaire leurs besoins, et les mères affolées ne savent plus comment apaiser leurs cris. Des bousculades se produisent.
Certains, rares, en profitent pour tenter de fuir ou pour faire s'échapper un enfant. Les autobus, des véhicules de toutes sortes, réquisitionnés, sillonnent Paris. Tous convergent à, présent vers le Vel d'Hiv'.

 

Le jour de la rafle, du matin au soir sans arrêter, les autobus vident leurs passagers rue Nélaton, puis repartent chercher de nouveaux voyageurs. Les agents poussent les arrivants égarés entre les portes battantes, leur font traverser le couloir circulaire qui entoure la piste sous les tribunes, puis les introduisent dans ce monde crépusculaire où s'entassent déjà des groupes abattus et fantomatiques.

 

On quitte l'ensoleillement de la rue pour l'ombre à laquelle il faut s'accoutumer. Peu à peu les détails surgissent, aussi angoissants que l'odeur qui d'heure en heure va se faire de plus en plus insupportable. Des Visages défaits, blêmes, aux yeux creusés, émergent de la nuit, immobiles comme des statues de la douleur. Les regards fixes reflètent un monde atteint de folie. Des mères accroupies serrent contre elles leurs bébés qui vagissent, des vieillards s'abandonnent à leur désespoir et ne bougent plus, comme morts. Seuls quelques enfants sautent à pieds joints d'un gradin à l'autre ; cet âge innocent trouve malgré tout le moyen de jouer.

 

Arrivée des juifs au vélodrome d’Hiver

 

 Poussés par ceux qui les suivent, les nouveaux arrivants, étreignant leur petite valise ou leur baluchon, avancent un peu plus, enjambent des corps, grimpent quelques marches et découvrent l'affreuse perspective, cette immensité remplie de spectateurs figés devant le plus incroyable des spectacles : sur la piste, sur le terre-plein, des gens allongés campent, serrés les uns contre les autres, tandis que vers les hauteurs des tribunes le murmure de la foule se perd dans les ténèbres.

 

 

 

La faim et la soif qu'’endure les juifs du Vélodrome

 

 

 

La puanteur qui se dégageât du Vélodrome devenait insupportable pour les autorités et les juifs

 

Au fil des jours, la puanteur va croître, devenir intolérable. Aucune ouverture n'aère ce vaste hangar où vivent 8 000 personnes ; sur les tôles et les verrières du toit brûle le soleil de juillet.
Tous ces gens respirent, transpirent, font leurs besoins dans la serre étouffante. Car le stade ne possède que douze cabinets, vingt urinoirs. Nombre d'entre eux ont été condamnés parce qu'on pouvait s'évader par leurs fenêtres. Ceux qui restent seront vite engorgés, inutilisables.

 

 

Les prisonniers écœurés se retiendront le plus possible, puis finalement devront se libérer sur place. Terrible humiliation. Au bout de sept jours, les gradins sont devenus un véritable cloaque, on patauge clans une boue infecte, l'urine s'écoule vers la piste. il monte de ce magma une pestilence effroyable.

 

Le désespoir

 

Comment réagissent-ils, ces malheureux ? Certains sombrent dans l'hébétude du gâtisme. D'autres, surtout des femmes, se révoltent hystériquement. Elles se mettent à hurler, claquent des mains, se tordent les bras, se roulent sur le sol.
Des applaudissements collectifs éclatent brutalement, puis des appels désespérés : Libérez-nous ! Libérez-nous ! Une folle assomme son petit garçon avec une bouteille ; on l'attache sur un brancard. Certains tentent de se suicider en s'ouvrant les veines ou en se jetant du haut des tribunes. Une dizaine de suicides réussissent ; d'autres désespérés s'en tirent avec une jambe cassée.

 

Les médecins s'activent, deux en tout, tolérés par la préfecture de Police, mais démunis de l'essentiel. Ils ont installé un poste de secours sur le terre-plein central. Là, ils travaillent désespérément. Ils soignent comme ils peuvent les malades et les blessés, les femmes en train de faire des fausses couches, les moribonds, les enfants atteints de dysenterie, de rougeole ou de scarlatine. On tente d'isoler les contagieux dans les baignoires qui bordent la piste ; mais les épidémies se propageront vite. Les médecins se voient aussitôt débordés par l'énormité de leur tâche.
Ils parviendront malgré tout à faire évacuer quelques malades graves vers l'hôpital Rothschild qui, depuis décembre 1941, est devenu une sorte de prison pour les Juifs : un hôpital dont on ne s'évade pas et où les malades sont soignés pour être plus facilement déportés par la suite.

Quelques évasions

 

Profitant du désordre qui règne dans le couloir circulaire où se trouvent les cabinets, Mine Lichtein parvient à se glisser à l'extérieur avec sa tille. Louis Pitkowitz, 14 ans, après avoir dit adieu à ses parents, rôde dans le hall à la recherche d'une occasion favorable ; il réussit à échapper aux gardes en profitant de la cohue que provoquent des mères désespérées réclamant à boire pour leurs enfants.
Ida Nussbaum, son fils dans les bras, fend la foule des arrivants sous prétexte qu'elle a laissé des bagages à la porte, puis se glisse dans la rue. Un agent l'arrête ; elle le supplie de l'autoriser à rester dehors quelques minutes supplémentaires afin que son bébé puisse respirer de l'air pur. Le garde, conciliant, accepte. Lors de la relève, personne ne fait plus attention à elle ; le coeur battant et les jambes tremblantes, elle s'éloigne sans jeter un coup d'oeil en arrière.
Après avoir arraché leur étoile jaune, les fugitifs préfèrent prendre le métro (les contrôleurs les laissent monter sans billet) afin de se perdre plus rapidement dans la foule. Traqués, ils ne devront leur salut qu'à la protection d'amis de rencontre.

 

La solidarité des juifs en 1942

 

 

Mais pour quelques privilégiés, plus hardis que d'autres ou protégés par la chance, combien seront refoulés dans leur immense cachot ? Comme ces mères sorties pour chercher quelques vivres dans une épicerie voisine et qui reviendront toutes afin d'alimenter leurs enfants. Ou faire la queue devant le seul point d'eau qui alimente les 8000 prisonniers.
Ce point d'eau se trouve dans une cour, rue du Docteur-Finlay, sur laquelle donnent les ateliers de Citroën. De leurs fenêtres, les ouvriers aperçoivent la longue file des malheureux qui attendent pour boire ou prendre de l'eau dans un récipient. Ils entendent la plainte qui monte de l'énorme bâtiment aux murs aveugles. Bouleversés, ils commencent par jeter des morceaux de pain aux prisonniers dans la cour. Puis ils tenteront, le plus souvent vainement, de leur faire passer des colis de vivres.
Car, dès que la nouvelle s'est répandue dans Paris, une nouvelle qui au premier abord a paru incroyable, un vaste élan de solidarité a cherché à se manifester ; d'abord isolément, puis en groupe.

La déportation

 

L’arrivée d’un convoi de juifs deportés du Vélodrome d’Hiver à la gare d’Auschwitz

 

Les rafles qui se sont poursuivies jusqu'au 17 donnent au 18 juillet le bilan officiel suivant : 3 031 hommes, 5 802 femmes et 4 051 enfants, soit 12 884 personnes. Ce chiffre parait insuffisant aux chefs de la Gestapo qui incriminent la complicité de la population. A côté des 28 000 Juifs prévus, la chasse finalement s'avère décevante. Mais on espère que, dans les jours suivants, des délations permettront de récupérer quelques fuyards. Et il y en aura !
Tandis que dans le Vel' d'Hiv' les malheureux attendent pendant sept longues journées que l'on décide de leur sort, on organise leur évacuation. Il s'agit surtout d'une question de transports, la situation sur le front russe ayant mobilisé une grande quantité de convois à l'est de l'Europe.


Darquier de Pellepoix et Dannecker confèrent dès le 15 juillet afin de décider les modalités de « transplantation » des Juifs (euphémisme destiné à ne pas impressionner la population française).
Les enfants, qui croupissent déjà près de leurs parents dans l'enceinte du Vel' d'Hiv', seront déportés avec leur famille, d'abord dans des camps français, puis, au fur et à mesure des possibilités de transport, vers l'Allemagne. Leur sort est désormais inexorablement scellé.

 

 

 

 

 

 

Le triage des déportés; les hommes, femmes enfants d'un côté, les invalides, malades et vieillards de l'autre côté; Ils seront gazés peu après. 

A partir du dimanche matin 19 juillet, l'évacuation du Vélodrome commence. Les prisonniers, malmenés comme du bétail, remontent clans les autobus qui les ont amenés. Peu à peu, et jusqu'au jeudi suivant, par petits paquets, on les extirpe de ce cloaque, ils revoient la lumière du soleil, respirent l'air de la ville qui doit leur paraître aussi pur que celui des champs. On les débarque gare d'Austerlitz, avant de les transporter à Drancy, autre univers concentrationnaire où les attendent de nouvelles souffrances, de nouvelles cruautés.
Le 19 juillet, mille internés, des hommes pour la plupart, arrachés à leurs familles, sont enfermés dans des wagons à bestiaux au milieu d'insoutenables scènes de désespoir. A partir de cette date, les trains ne vont plus arrêter d'évacuer les raflés du Ver d'Hiv' vers l'Allemagne... et les fours crématoires d'Auschwitz.
Sur les douze mille victimes du Jeudi Noir, seule une vingtaine de rescapés reverra Paris libéré. Une vingtaine ! Et pas un seul des 4 051 enfants.

Les enfants juifs

 

Un groupe d’enfants juives

Le 21 juillet, Adolf Eichmann donne à Theodor Dannecker, responsable pour la France de la politique anti-juives, l'autorisation d'organiser dès que possible des convois pour les enfants.
Dans un premier temps, partent du Loiret les parents et les enfants de plus de 13 ans. Les gardiens doivent séparer à coups de crosse et par des jets d'eau froide les mères et leurs enfants. Quelques femmes restent pour s'occuper des plus petits. Le 14 août, la police française transfère à Drancy un premier convoi d'enfants de moins de 13 ans. Ils sont sales, encombrés de baluchons, hagards. La chaleur de l'été et les soupes de choux et de rutabagas provoquent des diarrhées et les assistantes sociales ont du mal à nettoyer, sans savon, le linge maculé. Les enfants sont installés au quatrième étage de l'immeuble de la cité à loyer modéré à peine achevée où ils se blottissent, les uns contre les autres sur les matelas souillés, jetés à même le sol.
Deux ou trois jours après leur arrivée, ils sont réveillés à 5 heures du matin. Ils pleurent, refusent de s'habiller et il faut appeler les gendarmes pour les descendre dans la cour où a lieu un simulacre d'appel (ils ne connaissent en général pas leur nom de famille). Il leur faut encore passer à la fouille où la police aux questions juives confisque petits bracelets et boucles d'oreilles. On les mène dans les autobus qui se dirigent vers la gare du Bourget.
Les wagons sont plombés et gagnent Auschwitz où les enfants survivants – les cheminots belges trouveront une vingtaine de petits cadavres oubliés dans des wagons – seront gazés dès leur arrivée.

Le camp de Pithiviers

 

 

 

Pithiviers et Beaune-la-Rolande (Loiret) sont les plus connus (ou les moins occultés ? ) des camps d'internement de la région. Comme Drancy, ils servirent de camps de transit pour des milliers de juifs dont la destination finale était les chambres à gaz d'Auschwitz. Ils furent 18 000 à passer par les deux camps du Loiret, dont 6 000 enfants entassés dans des conditions de dénuement et d'hygiène pitoyables après la rafle du Vél’d’hiv de juillet 1942, puis poussés dans des wagons à bestiaux vers Auschwitz.
L'Écho de Pithiviers écrivait : « 5 000 juifs, récemment importés de tous les ghettos du monde, viennent d'être invités à rejoindre divers camps de concentration de notre région. L'épuration de la pouillerie sémite est sérieusement commencée. Les juifs ne sont plus aujourd'hui qu'un misérable gibier de camp de concentration. » Voilà pour ceux qui « ne savaient pas... »

Le camp de la Lande à Mont

 

 

 

Réquisitionné par la Gestapo, le camp de la Lande, à Monts (Indre-et-Loire), abrite d'abord des juifs polonais évacués de Moselle.
En septembre 1942, 422 israélites étaient « chargés » (l'expression est des gendarmes de Chinon) dans des wagons, vers Drancy puis Auschwitz : 14 survécurent. Succédèrent alors aux juifs 298 femmes communistes. Une seule fut exécutée : une infirmière française l'avait dénoncée comme juive.



14/07/2012
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