Seconde Guerre mondial

Seconde Guerre mondial

LES RÉFUGIÉS JUIFS POLONAIS DANS LE GHETTO DE SHANGHAI 41-45

 

Le déclenchement de la guerre en Pologne en septembre 1939 prit au piège près de trois millions et demi de Juifs dans les territoires occupés par l’Allemagne et l’Union soviétique.

A la fin de 1940 et au début de 1941, quelques mois avant le début de l’extermination en masse des Juifs par les Allemands, un groupe d’environ 2 100 Juifs polonais réussirent à fuir l'Europe grâce aux efforts inlassables de nombreuses personnes. Plusieurs organisations et communautés juives fournirent des fonds et autres secours.

L’assistance la plus décisive provint de sources inattendues : des représentants du gouvernement néerlandais en exil et d’un membre de l’Axe, allié de l’Allemagne nazie, le Japon. En 1940, leur activité humanitaire fut déterminante pour le sauvetage de plusieurs centaines de réfugiés juifs polonais installés temporairement en Lituanie.

 

Au Japon, les réfugiés juifs polonais arrivés de Lituanie avaient entendu dire que le port franc de Shanghai était une ville surpeuplée, insalubre où sévissait une importante criminalité. Ils furent cependant stupéfaits du spectacle qui s’offrir à eux lorsqu’ils débarquèrent. Dans la concession internationale de la ville, plusieurs centaines de milliers de Chinois sans ressources vivaient au sein d’une communauté étrangère dominée par une élite de riches commerçants et financiers britanniques et américains.

Les réfugiés trouvèrent également pour les assister une communauté bien établie de quelque 4 000 Juifs russes et plus de 17 000 réfugiés juifs allemands et autrichiens qui avaient fui la persécution nazie en 1938 et 1939. La plupart de ces réfugiés juifs allemands et autrichiens de Shanghai vivaient dans des logements délabrés surpeuplés. Les plus vulnérables sur le plan économique vivaient dans des baraquements financés par le Joint (American Jewish Joint Distribution Committee, une organisation caritative juive américaine). Ces premiers arrivants parvenaient encore à survivre, voire à prospérer. Certains avaient ouvert de petits commerces ou des petites entreprises artisanales. D’autres étaient devenus entrepreneurs et propriétaires, transformant des pans entiers de Hongkew, une zone industrielle de la Colonie internationale qui avait été gravement endommagée par les combats sino-japonais en 1932 et 1937. 

Pris au piège à Shanghai après l’attaque japonaise contre Pearl Harbor qui provoqua l’entrée en guerre des Etats-Unis en décembre 1941, les réfugiés juifs souffrirent du manque de nourriture, de vêtements et de médicaments, qui s’ajoutait au chômage et à l’isolement. Ils ignoraient tout du sort de leurs familles. La guerre perturba l’afflux de fonds à Shanghai. Le nombre de réfugiés sous-alimentés augmenta après Pearl Harbor. Les réfugiés furent également soumis à des décrets japonais.

Après l’attaque du Japon contre Pearl Harbor, les autorités japonaises à Shanghai imposèrent des mesures de sécurité plus strictes. Au début de 1943, acceptant le fait que leur allié nazi avait rendu les Juifs allemands et autrichiens « apatrides » en leur enlevant leur nationalité, les Japonais leur ordonnèrent – notamment aux Juifs de Pologne – de s’installer dans un « quartier réservé » de la colonie internationale. De nombreux réfugiés de ce quartier vécurent dans des appartements exigus situés dans des ruelles. Ces logements étaient souvent dépourvus de toilettes modernes et, chaque matin des seaux de « fumier » (d’excréments humains) étaient vidés et emportés par des travailleurs chinois.

Le Service des réfugiés apatrides, dirigé par l’ancien officier de marine japonais Tsutomu Kobota, supervisait le quartier réservé, mais avait peu de contacts directs avec les réfugiés qui détestaient et craignaient ses subordonnés Okura et Ghoya. Les restrictions de circulation et les privations de guerre rendaient la vie pénible dans ce que les habitants appelaient le « ghetto de Shanghai », mais il n’y régnait pas la terreur quotidienne subie par les Juifs des ghettos d’Europe. Le traitement réservé aux Juifs de Shanghai par les Japonais fut relativement clément.

Les écrivains juifs polonais utilisèrent une expression en yiddish pour décrire Shanghai, « shond khay », « une vie de honte ». La vie pourtant continua dans ce cadre étranger et isolé. La lecture de poèmes, la publication de journaux en yiddish et en polonais et la création d’oeuvres d’art et de pièces de théâtre, bien que limitées du fait des problèmes logistiques et de la censure japonaise, contribuèrent à soutenir le moral des réfugiés transplantés de Pologne. 

Les Japonais interdisaient la vie politique, mais les sionistes et les bundistes demeurèrent clandestinement actifs. Des étudiants de yeshiva (école talmudique) réfugiés passèrent les années de guerre à poursuivre leurs études. Ils utilisèrent les réimpressions des quelques livres qu’ils avaient emportés de Pologne ou avaient reçu de ceux qui les soutenaient, notamment du rabbin Kalmanovich de New York. Des élèves et des rabbins de la yeshiva de Mir se regroupèrent dans la synagogue Beth Aharon qui avait été construite par l’un des membres les plus fortunés de la communauté juive séfarade de Shanghai. A travers les vicissitudes du sort et les décisions de leurs dirigeants qui menèrent les étudiants de Pologne au Japon et à Shanghai, la yeshiva de Mir s’avéra être l’unique yeshiva européenne à survivre intacte à la Shoah.

Peu avant la fin de la guerre, un raid aérien américain sur la zone industrielle de Hongkew tua 40 réfugiés juifs, notamment sept Juifs polonais, et plusieurs centaines de Chinois. L’entrée des troupes américaines à Shanghai fut accueillie avec une joie rapidement tempérée par les nouvelles de la Shoah. Depuis le printemps 1941, la plupart des réfugiés étaient restés sans nouvelles de leurs proches demeurés dans la Pologne occupée. Il leur fallut plusieurs mois encore pour connaître le sort de leurs parents et amis.

 

 

Etudiants d’une yeshiva polonaise à Shanghai.

 Réfugiés juifs en prière à la synagogue. Shanghai, Chine 

 

Ecole religieuse pour enfants juifs réfugiés. Ghetto de Shanghai, Chine, 8 septembre 1944.

Témoignages

 

Ernest était l'un des trois enfants nés dans une famille juive qui vivait dans la ville marchande de Breslau, qui comptait l'une des plus grandes communautés juives d'Allemagne. Son père, vétéran de la Première Guerre mondiale, possédait une usine qui fabriquait du matzah, le pain azyme que consommaient les juifs à Pâques. Ernest avait douze ans lorsqu’Hitler prit le pouvoir en 1933.

 

1933-39 : Je me battais souvent à l'école parce qu'on m'insultait. On me lançait souvent "tueur du Christ" ou encore "Ton père tue les bébés chrétiens à Pâques." Beaucoup pensaient que les nazis n'étaient qu'un caprice politique passager mais, en 1935, leurs lois se firent menaçantes. Des affiches apparurent, proclamant "Interdit aux juifs." En 1938, après que notre synagogue eut été incendiée, nous n'eûmes d'autre choix que de fuir l'Allemagne. Mais ma famille ne put obtenir que deux billets, aussi ma mère et moi embarquions sur un bateau pour l'Asie, laissant notre famille derrière nous.

 

1940-44 : J'arrivai dans Shanghai contrôlée par les Japonais, le seul endroit où les réfugiés pouvaient débarquer sans visa. Là-bas, comme volontaire, je conduisis un camion des Forces Volontaires de Shanghai de l'armée britannique. On me donnait à manger et j'étais mieux traité que bien d'autres réfugiés. Après Pearl Harbor, en décembre 1941, la situation des réfugiés de la ville empira --les fonds de secours américains, survie des réfugiés, ne pouvaient arriver jusqu'à Shanghai. En 1943, sous la pression de l'Allemagne, les Japonais établirent un ghetto.

Ernest passa deux ans dans le ghetto de Shanghai avant que la ville soit libérée en 1945. Après la guerre, il travailla pour l'U.S. Air Force à Nankin, en Chine, pendant plusieurs années, puis il émigra aux Etats-Unis.

 

La famille juive de Leo vivait à Vilno qui, en 1913, faisait partie de l'Empire Russe. En 1916, craignant la révolution, sa famille partit pour la Mandchourie, à Harbin, une ville située au nord de la Chine, et qui comptait une communauté juive bien structurée. Là-bas, Leo rejoignit un groupe sioniste et étudia l'histoire juive. Pendant deux ans, il fréquenta une école primaire juive et apprit l'hébreu. Il étudia ensuite dans un collège russe de Harbin.

 

1933-39 : Lorsque le Japon occupa la Manchourie en 1931 et que la situation à Harbin se détériora, mes parents m'envoyèrent à Shanghai. Je fréquentai une école britannique et appris l'anglais. Je servis également dans le Corps des Volontaires des Juifs de Shanghai qui protégeait les citoyens étrangers de Shanghai. Je trouvai un emploi dans une société d'importation de textiles qui m'envoya, en 1937, à Kobe, au Japon. Là-bas, la petite communauté juive me nomma secrétaire honoraire.

 

1940-44 : En 1940 et 1941, de nombreux réfugiés juifs de Pologne et de Lituanie furent sauvés de l'holocauste après avoir reçu des visas de transit via le Japon, lesquels leurs étaient délivrés par le vice-consul japonais à Kovno. Ces réfugiés traversaient l'Union Soviétique en train jusqu'à Vladivostok, puis ils prenaient enfin un bateau pour Kobe, au Japon. Là-bas, notre petite communauté juive s'occupait d'eux en leur trouvant des maisons, en leur donnant des médicaments et des vêtements et en arrangeant leurs visas de façon à ce qu'ils puissent rester au Japon.

 

En 1942, Leo retourna à Shanghai et y travailla pendant tout le reste de la guerre. Il émigra en Israël en 1948 puis partit pour les Etats-Unis.

 

Walter naquit au sein d'une famille juive dans la ville de Strehlen, en Allemagne, à une trentaine de kilomètres au sud de Breslau. Depuis plus d'un siècle la cristallerie que tenait sa famille était très réputée. Les parents de Walter l'envoyèrent à Berlin au milieu des années 1920 pour étudier le commerce de la porcelaine. Il revint à Strehlen en 1926 pour aider sa famille à gérer l'entreprise.

 

1933-39: En 1937, nous nous sommes installés à Breslau. Après les pogroms allemands de 1938 (la Nuit de Cristal), j'ai été déporté à Buchenwald. Lorsque j'y suis arrivé, on m'a entraîné dans un tunnel où les Nazis nous frappaient à coups de matraque. C'était la panique dans le camp. Certains prisonniers couraient dans tous les sens pendant que les gardes leur tiraient dessus ; d'autres se jetaient tête baissée vers la clôture électrifiée. En décembre, les parents m'ont obtenu des papiers pour aller à Panama. Les Nazis, certains que j'allais quitter le pays, m'ont libéré.

 

1940-44: Je n'ai pas pu obtenir de visa d'entrée pour Panama, alors je n'ai eu d'autre choix que de me rendre à Shanghai, le seul endroit pour lequel il n'était pas nécessaire d'avoir un visa. La majorité des Juifs vivait dans un quartier appelé Hongkew. J'y suis resté jusqu'à l'attaque de Pearl Harbor. A cette date les Japonais nous ont regroupés dans un ghetto. Je suis resté à Shanghai pendant quatre ans et de 1941 à 1945 j'ai été l'intendant des Cuisines Juives Générales, un organisme qui fournissait la nourriture à des milliers de Juifs pratiquants. Il y avait plusieurs synagogues à Shanghai, et la communauté juive y était très active. En 1944, les Américains ont commencé à bombarder Shanghai.

 

Après la guerre, Walter est resté en Chine et continua à travailler dans le secteur de la restauration. En avril 1947, il émigra aux Etats-Unis.

 

La famille d'Ernest possédait une fabrique de matzah, le pain sans levure consommé pendant la Pâque Juive. En février 1939, trois mois après la Nuit de Cristal, Ernest et sa mère s'enfuirent vers Shanghai, l'une des destinations sures des réfugiés sans visa. Son père et sa soeur restèrent en Allemagne ; ils moururent au cours de la Shoah. L'un de ses frères put s'enfuir vers l'Angleterre. Ernest et sa mère trouvèrent du travail à Shanghai. En 1947, il partit aux Etats-Unis avec sa femme, qu'il avait rencontrée et épousée à Shanghai. 

 

C'était un ghetto. Entouré par des fils barbelés. Et nous appartenions à un groupe de volontaires appelé le Pao Chia, sous la supervision japonaise. Un genre d'auto-protection. Ils portaient des brassards et devaient se poster aux sorties et aux entrées du ghetto, pour veiller à ce que personne ne sorte sans autorisation. Et à cette époque, la situation était telle que le ghetto était dirigé par un Japonais très brutal, sadique même, appelé Ghoya. Il était paranoïaque, c'était un psychopathe, et il se faisait appeler le "roi des Juifs." Il était sous les ordres de Kobota. Kobota était l'un des officiers dont j'ai parlé précédemment. Je pourrais parler une heure durant de Ghoya, de ce qu'il a fait. Il avait un tel complexe d'infériorité qu'il nous demandait -- nous restions en rang pendant toute une journée pour obtenir un laissez-passer si nous avions encore un emploi à l'extérieur. On pouvait sortir du ghetto si toutefois il nous donnait un laissez-passer. Ce laissez-passer pouvait être valable une journée ou un mois, selon son bon vouloir, pour aller dans certains quartiers de la ville. Et on devait être de retour dans le ghetto à une certaine heure. Et il commençait à nous interroger. "Ah, tu parles trop bien anglais. Pas de laissez-passer." Ou encore, "Tu ne parles pas anglais. Pas de laissez-passer." Et s'il ne vous aimait pas, il sautait sur le bureau et vous giflait. Et si ça tournait vraiment mal, il vous envoyait passer la nuit dans le bunker [cachot]. Le bunker, en soi, c'était une condamnation à mort, une nuit. Parce que le bunker était contaminé par la typhoïde. La typhoïde. Si vous sortiez du bunker le lendemain, il se passait une semaine ou deux avant que vous tombiez malade, mais tout le monde savait déjà qu'il ne vous restait que deux semaine à vivre tout au plus.

 

 

 

 



14/07/2012
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