Raoul Wallenberg et le sauvetage des Juifs à Budapest


Raoul Wallenberg fut à l'initiative de l'une des plus importantes opérations de sauvetage de Juifs pendant la Shoah. Diplomate suédois, Wallenberg fut nommé premier secrétaire de la Légation de Suède à Budapest, en Hongrie, en juillet 1944. Il travailla avec le Conseil américain des réfugies de guerre (War Refugee Board : WRB) et le Congrès juif mondial pour protéger des dizaines de milliers de Juifs hongrois de la déportation vers le camp d'extermination d'Auschwitz-Birkenau.
La Hongrie était l'alliée de l'Allemagne, mais les défaites allemandes et le nombre croissant de pertes hongroises poussa le pays à rechercher un armistice avec les Alliés occidentaux et l'Union Soviétique. L'armée allemande occupa la Hongrie le 19 mars 1944, afin de l'empêcher de sortir de la guerre. Peu après l'occupation, les Allemands, aidés de l'administration et de la gendarmerie hongroise, commencèrent à déporter les Juifs à Auschwitz. En juillet 1944, les Allemands avaient déporté près de 440 000 Juifs. 200 000 restaient à Budapest, eux aussi étaient menacés.
Wallenberg commença à délivrer des passeports de protection suédois aux Juifs de Budapest en juillet 1944. Il créa des hôpitaux, des crèches et une soupe populaire, et mit en place plus de 30 lieux sûrs qui formaient le cœur du "ghetto international" de la ville. Le "ghetto international" était réservé aux Juifs et à leurs familles qui possédaient des papiers de protection délivrés par un pays neutre. En novembre 1944, pendant la marche de la mort des Juifs hongrois de Budapest vers les camps de travail en Autriche, Wallenberg s'assura de la libération des porteurs de passeports de protection et de ceux qui avaient des faux papiers, pour en sauver le plus grand nombre.
D'autres diplomates suédois et des diplomates de pays neutres se joignirent à cet effort de secours. Carl Lutz, diplomate suisse, délivra des certificats d'immigration qui mirent près de 50.000 Juifs de Budapest sous la protection de la Suisse en tant qu'émigrants potentiels vers la Palestine. L'homme d'affaires italien Giorgio Perlasca se fit passer pour un diplomate espagnol ; il délivra de faux visas espagnols et créa des lieux sûrs, dont un pour les enfants. Lorsque l'armée soviétique libéra Budapest en février 1945, il y restait encore plus de 100.000 Juifs, principalement grâce aux efforts de Wallenberg et de ses collègues.
Wallenberg disparut en janvier 1945 alors qu'il était en route pour rencontrer des officiels soviétiques à Debrecen. Même si son destin exact n'est pas connu, on suppose qu'il est mort, ou a été assassiné, dans une prison ou un camp soviétique.

Membres du Comité sioniste de secours et de sauvetage de Budapest. De gauche à droite : Peretz Revesz, Hansi Brandt, Rezso Kasztner, Otto Komoly, et Zvi Goldfarb. Budapest, Hongrie, 1944.

Juifs hongrois attendant en face du bureau principal de légation suédoise dans l’espoir d’obtenir des sauf-conduits (Schutzpasse - passeports de protection) suédois. Budapest, Hongrie, 1944.
“Sauf-conduit (Schutzpasse - passeports de protection)” suédois émis pour Lili Katz, une Juive hongroise. Le document était paraphé par Raoul Wallenberg (en bas à gauche). Budapest, Hongrie, 25 août 1944.
Sauf-conduit (Schutzpasse - passeport de protection) suédois émis pour Joseph Katona, le grand Rabbin de Budapest. Budapest, Hongrie, 15 septembre 1944.
Sauf-conduit (Schutzpasse - passeport de protection) émis par le consulat suisse à Budapest, pour le grand Rabbin Joseph Katona. Budapest, Hongrie, 23 octobre 1944.
Groupe de Juifs hongrois sauvés de la déportation par le diplomate suédois Raoul Wallenberg. Budapest, Hongrie, novembre 1944.

À la gare Jozsefvarosi à Budapest, Raoul Wallenberg (à droite, les mains serrées derrière le dos) sauve des Juifs hongrois de la déportation en leur procurant des sauf-conduits (Schutzpasse - passeports de protection). Budapest, Hongrie, 1944.

Monument à la mémoire de Raoul Wallenberg, diplomate suédois qui a sauvé des Juifs à Budapest en émettant des sauf-conduits (Schutzpasse - passeports de protection). Budapest, Hongrie.

Sculpture commémorative en l'honneur du diplomate suédois Raoul Wallenberg, qui aida à sauver des Juifs des griffes des nazis. Budapest, Hongrie, 1990.
Témoignages

Lorsqu’Agnès était adolescente, elle fréquentait la prestigieuse école privée Baar Madas de Budapest, dirigée par l'Eglise réformée hongroise. Bien qu'elle fût la seule étudiante juive, les parents d'Agnès pensaient que l'éducation supérieure qu'elle y recevait était importante pour elle. Le père d'Agnès, importateur de textiles, encourageait sa fille à penser par elle-même.
1933-39 : En 1936, j'étudiais les techniques de l'enseignement avec la Signora Maria Montessori en Italie et décrochais mon diplôme, ce qui me permit d'enseigner. Espérant améliorer mon français, je partis pour la Suisse en 1939.Le 9 septembre, tandis que je nageais avec des amis dans le Lac de Genève, je fis la connaissance de Juifs polonais qui participaient à un congrès sioniste. Soudain, la nouvelle éclata : l'Allemagne avait écrasé la Pologne. Terrorisés et toujours en maillot de bain, les Polonais se précipitèrent pour tenter de joindre leurs familles.
1940-44 : A Budapest, en 1944, je travaillais pour Raoul Wallenberg, un diplomate suédois qui œuvrait pour sauver les Juifs. Au mois de décembre de cette même année, les fascistes ordonnèrent l'exécution des Juifs sur les rives du Danube. Les Juifs furent attachés par groupes de trois et la personne qui se trouvait au centre était abattue ; ainsi, tous les trois tombaient dans le fleuve et s'y noyaient. Wallenberg demanda aux membres de son personnel : « Qui sait nager ? » Je me suis désignée. Nous nous sommes précipités au bord de l'eau et lorsqu'un groupe est tombé, nous avons plongé dans l'eau glacée du fleuve. Nous avons sauvé 50 personnes. Plus tard, je suis tombée malade et suis restée dans le coma pendant un jour et demi.
Après la guerre, Agnès partit pour la Suède puis l'Australie et s'installa aux Etats-Unis en 1951. Par la suite, elle consacra sa vie à écrire sur Raoul Wallenberg et à enseigner ses préceptes et ses actions.

En 1939, Agnès se trouvait en Suisse où elle apprenait le français. Elle revint à Budapest en 1940. Après le début de l'occupation de la Hongrie en 1944, Agnès trouva refuge auprès de l'ambassade de Suède. Elle commença alors à travailler pour le diplomate suédois Raoul Wallenberg dans sa tentative de sauvetage des Juifs de Budapest, entre autres en leur distribuant des laissez-passer de complaisance (Schutzpasse). Lorsque les Soviétiques entrèrent dans Budapest, Agnès décida d'aller en Roumanie. Après la guerre, elle se rendit en Suède et en Australie avant de s'installer aux Etats-Unis.
Budapest c'est deux villes, et au milieu coule le soi-disant Danube Bleu, pour moi, c'est le Danube Rouge, mais c'est ce qu'il était, et ils jetaient les gens dedans, les Hongrois Nazis, et ils attachaient trois personnes ensemble, ils tuaient celle du milieu, et ils tombaient. Et s'ils voyaient bouger, ils tiraient encore, pour être sûrs. Mais de nombreuses personnes s'en sont sorties par elles-mêmes. Mais cet hiver-là était terriblement froid, comme je l'ai dit, et le Danube était glacé et d'énormes plaques de glace flottaient. Alors, Raoul est rentré à la maison le troisième soir, et il n'y avait pas de clair de lune, pas d'étoiles, une nuit froide et obscure. Et il s'est tourné vers nous pour la première fois, d'habitude, il ne parlait qu'aux hommes de la Croix Rouge, et il a dit, "Combien parmi vous savent nager ?" J'avais une grande gueule, j'ai levé la main, et j'ai dit, "Meilleur nageuse de l'école." Il a dit, "Allons-y." Et quand vous m'avez vue rentrer ici habillée comme un ours en peluche, c'est ainsi que j'étais vêtue, avec un chapeau et des gants. Et nous sommes descendus de l'autre côté, les Hongrois ne nous ont même pas entendus arriver, trop occupés qu'ils étaient à attacher et à tirer, et nous sommes restés sur la gauche, à l'écart, nous avions des médecins et des infirmières à bord des voitures et d'autres personnes dehors pour nous sortir de l'eau. Quatre d'entre nous, trois hommes et moi, nous avons sauté et grâce aux plaques de glace, les cordes s'y accrochaient, nous avons sauvé des gens, mais seulement cinquante, et nous étions tellement transis de froid que nous n'en pouvions plus. Mais sans Raoul Wallenberg, nous n'en aurions pas sauvé un seul.

Après que les Allemands eurent occupé la Hongrie en 1944, Tom fut envoyé dans des camps de travail et des usines. Il s'enfuit quelques mois plus tard et décida de contacter la légation suédoise, où il rencontra Raoul Wallenberg en octobre 1944. Tom resta à Budapest et, utilisant ses compétences en matière de photographie, il participa activement aux tentatives de Wallenberg pour sauver les Juifs de Budapest. Il fit des copies des laissez-passer de complaisance (Schutzpasse) et prit des photographies à cet effet et se fit le témoin documentaire des déportations.
Déportés. C'était ceux qui avaient été encerclés à Budapest, ceux des camps de travail qui étaient encore, à cette époque, fin novembre, envoyés en Allemagne par le train. Plus tard, tout se faisait à pied. Cette fois-ci, c'était par le train, la déportation. Et [Raoul] Wallenberg était là, et il avait installé une petite table et je suis allé le voir et il m'a murmuré à l'oreille, "Tom, prends autant de photos que tu peux." Je n'ai pas osé lui demander, "Pourras-tu prendre la pose ?" ni autre chose, vous voyez. Alors je portais mon manteau et j'avais une écharpe, et je portais toujours un canif sur moi et j'ai fait une entaille dans l'écharpe et j'ai installé la pellicule dans mon Leica, et je l'ai recouvert de l'écharpe. J'ai juste sorti la lentille et j'ai commencé, à travers l'écharpe, à photographier. Quelquefois, je m'asseyais dans sa voiture et je prenais des photos de là. Quelquefois, je marchais aux alentours en regardant à droite et à gauche comme si de rien n'était et je prenais des photos.
C'était une nuit de neige, et une nuit, la Croix Fléchée est arrivée et toute la légation a été emmenée au siège de la Croix Fléchée. Dans l'appartement de l'un de ceux de la Croix Fléchée. Alors, j'ai su que la fin était proche. Et j'avais de faux papiers sur moi. Je vous l'ai dit je n'avais pas confiance en eux. C'était pour la Croix Rouge. Et ils avaient une belle reliure rouge -- c'étaient de très beaux papiers. Ils indiquaient que je travaillais pour la Croix Rouge. Et sur le chemin qui m'emmenait vers la maison de la Croix Fléchée, je les ai mangés. Ils avaient un goût atroce, certes, mais je les ai mangés morceau par morceau (rire). Et je ne voulais pas qu'on les trouve sur moi. Et, il y avait énormément de gens. Tous ceux de la légation étaient emmenés. Ca faisait du monde. Ne me demandez pas combien, plus d'une centaine. Alors, quand nous sommes arrivés dans l'un des bâtiments, ils ont voulu nous mettre à la cave, j'ai entendu les Croix Fléchées s'interpeller les uns les autres, "Tu n'as qu'à les entasser les uns sur les autres. Ils vont mourir de toute façon." Et ils ne les ont pas mis là parce qu'il n'y avait pas de place. Alors ils nous ont emmenés dans leur maison et ils ont commencé à... ils ont adoré mes bottes tout de suite (rire). J'ai trouvé un client; ils ont dit, "Ce sont les miennes." Et nous nous tenions près du mur, les mains en l'air, et il y avait un vieux monsieur, tout petit, qui avait toujours l'air [interrogateur]... c'était une charmante personne mais il posait toujours des questions. Et tandis que nous nous tenions près de ce mur, prêts à partir pour le Danube pour, vous savez, il m'a demandé, "Mr. Veres, savez-vous par où on va vers le Danube?" Alors, je crois que je n'avais perdu mon sens de l'humour. Je lui ai répondu, "Dès que les tirs commenceront, c'est qu'on sera arrivés." Et l'instant d'après, un camion plein de policiers hongrois est arrivé avec, [Raoul] Wallenberg en tête. Ce que les Croix Fléchées n'ont pas remarqué, c'est qu'il y avait une prise téléphonique sur le plancher. C'était la pièce du standard, et la standardiste, qui était la fille du chef de service, avait appelé Wallenberg, lui avait parlé et il avait récupéré un camion bourré de policiers hongrois. Et ils sont arrivés en camion. Puis ils sont entrés et il a dit ça, "Ce sont mes protégés. Vous n'avez pas le droit d'y toucher," et il a sorti tout le monde.

Eva était peu touchée par la guerre jusqu'à ce qu'en 1944 les Allemands occupent Budapest. Le père d'Eva était un membre éminent de la communauté juive et la famille put conserver son appartement, situé dans un immeuble frappé de l'Etoile jaune (une maison destinée aux Juifs). En octobre, les parents d'Eva obtinrent des documents de protection émanant de Raoul Wallenberg, mais la famille décida de ne pas séjourner dans une maison suédoise en sécurité. Ils se cachèrent aux alentours et dans Budapest jusqu'à la libération de la ville par les Soviétiques en 1945.
Et en octobre, les maisons juives ne protégeaient plus guère leurs occupants. Mes parents purent obtenir les papiers de protection de Wallenberg. Raoul Wallenberg, pour le compte du roi de Suède, pouvait protéger et sauver beaucoup de gens. Il y avait des maisons, des protectorats suédois, où il était dit que les Juifs pouvaient être sauvés et nous nous rendions dans ce genre de maisons pour la nuit et il y avait des centaines et des centaines et des centaines de gens. Je ne sais pas combien. Mais mes parents ont pensé qu'il y avait bien trop de Juifs sous le même toit et que si les Allemands voulaient vraiment se débarrasser d'un bon paquet en même temps, mieux valait que nous partions ailleurs où nous aurions été moins remarqués. Je crois que la nuit où nous avons quitté notre maison, en octobre, ce fut la première fois que j'ai vraiment eu peur et je crois que ce moment a habité pendant longtemps ma vie de jeune adulte. J'étais très attachée à l'oreiller que j'avais emmené. Nous n'avions pas de bagages parce que nous devions voyager 'légers'. Nous avions tous revêtu, nous tous, plusieurs épaisseurs de vêtements tant pour avoir chaud que pour avoir un change, et j'ai emporté mon oreiller. J'avais aussi des cheveux longs, très longs. J'avais aussi de longues nattes qu'on a dû me couper au cas où il n'y ait pas de sanitaires, pour que je n'attrape pas de poux. Et je me souviens avoir demandé à mes parents où nous allions dormir cette nuit-là. Et mes parents m'ont répondu qu'ils ne savaient pas, que nous espérions simplement que quelqu'un nous hébergerait. J'ai dit, "Mais nous devons avoir un lit. Nous devons dormir." Et c'était vraiment très exaspérant et, comme je l'ai dit, il m'a fallu du temps. J'aimais toujours savoir où j'allais dormir. Je n'aimais pas partir sans savoir. Il fallait que je sache où allait se trouver mon lit. Et nous sommes allés chez quelqu'un pour la nuit, cette nuit, et encore une fois, tout le monde chuchotait et c'était très effrayant.